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m’ait accusée. Où est la faute ? Où est le crime ? Mon bien-aimé Pol vivait quand j’ai accepté en son nom la succession de Pardaillan, qui était à moi avant même d’être à lui. C’est ici la maison de mon père ! Aux yeux de Dieu, j’ai bien fait, et c’est avec les yeux de Dieu que les hommes jugent ceux qui ne sont plus. Vivante, je serais condamnée ; les gens du Parlement ne verraient que le fait brutal : ma signature substituée à celle de mon mari, et cette longue, longue feinte qui a supposé pendant des années la vie d’un trépassé, cela est criminel ; cela est sacrilège… Mais quand ils m’entendront crier ma plaidoirie du fond de ma tombe, ils m’écouteront… et la reine aura honte d’avoir été ingrate. Elle se souviendra : la mort réveille la mémoire endormie. On a peur, la nuit, d’offenser les morts. Mes enfants, mes chers enfants seront sauvés par leur deuil !

Elle se leva, et, passant la main sur son front, elle gagna la porte de l’oratoire qui donnait sur la chambre du deuil. Autour de son visage se jouait un vague rayon de joie : joie austère, joie tragique, et dont rien ne saurait dire les douces simplicités.

Elle allait à la mort, consciencieuse et résignée. Elle pouvait se tromper ; elle agissait de bonne foi.

Elle était jeune, parce qu’elle avait vécu solitaire. Elle aimait passionnément : un souvenir vers lequel sa mort s’élançait, une réalité dans son cœur se détachait avec des déchirements profonds.