Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 2.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! oh ! est-ce un prince déguisé qui a daigné croiser le fer avec moi ?

— Vous aimez au-dessus de vous, dit pour la seconde fois le More, il aime au-dessous de lui, et cette chère enfant, si noble, qui promenait naguère sa mélancolie sous les tilleuls du clos Pardaillan, ne sera point si haut titrée en mariage que la fille de ce coquin de Mitraille… à moins, chevalier, que vous ne lui gagniez une couronne de duc avec le temps.

— Seigneur Estéban, murmura le page, j’ai pu avoir en ma vie des souvenirs et des espoirs ; je n’ai jamais eu de certitude, et je crois que vous en savez plus long que moi.

Le More lui tendit la main à son tour.

— Vous aviez plus de quatre ans, quand on vous enleva, ami Roger, dit-il. De cet âge-là, on n’oublie rien, et jamais vous n’avez pu entendre sans tressaillir le nom de Guezevern !

— Et quand j’ai vu madame Éliane au manoir de Rivière-le-Duc, poursuivit le page dont les yeux brûlaient à travers ses larmes, tout mon cœur s’est élancé vers elle…

— Vive Dieu ! s’écria Gaëtan, qui bondit sur ses pieds, serait-il le frère de Pola ?

Il s’élança vers Roger les bras ouverts. Roger secoua la tête et garda ses yeux baissés.

— Tout mon cœur, répéta-t-il. Mais madame Éliane me laissa m’éloigner sans me dire : « Enfant, je suis ta mère ! »

Il se redressa, jetant en arrière les boucles de sa blonde chevelure et emplit résolument son gobelet.