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serais pas venu. J’ai peut-être eu tort de boire.

— Quand je suis à jeun, reprit-il tout haut, j’ai souvent l’idée que je vous fendrai la tête un jour ou l’autre, seigneur Estéban.

— Alors il ne faut jamais rester à jeun, ami Mitraille. J’ai la tête dure, et si on la fendait, cela ferait peut-être tort à ceux que tu aimes.

Mitraille passa une des manches de la robe.

— Je vous ai interrogé bien souvent, poursuivit-il ; jamais vous ne m’avez répondu. Si je pouvais penser que vous êtes contre madame Éliane…

Le More garda le silence. Mitraille continua :

— Voulez-vous me dire, oui ou non, si vous êtes contre madame Éliane ?

— Là ! s’écria don Estéban avec une gaieté soudaine, me voici costumé ! Dépêche ou nous arriverons trop tard, coquin de Mitraille !

— Quand vous me parlez comme cela, pensa tout haut l’ancien page de Vendôme, je suis pourtant bien sûr d’avoir entendu votre voix autrefois.

Le More se rapprocha de lui et l’aida à revêtir la robe. Il faisait nuit, mais leurs yeux, habitués aux ténèbres, croisèrent un regard.

— Vous n’êtes pas un Africain, dit encore Mitraille. Êtes-vous bien un Espagnol ?

Le More, au lieu de répondre, se baissa, prit son ancienne défroque et fit un paquet de son pourpoint enveloppé dans son burnous. Il cacha le tout derrière une grosse pierre.

— Innocent ! dit-il après un instant de silence. Ta fille a de meilleurs yeux que toi. Quels sont ces gens que nous venons de battre ? Les regardes-tu comme des amis de ta dame ?