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tes pour rire. La noblesse, en sombrant, a produit cette détestable comédie des titres à la douzaine. Un comte, sous Louis XIII, était forcément un grand seigneur.

Aussitôt que les yeux d’Éliane eurent parcouru les premières lignes du message, elle pâlit et tout son corps se prit à trembler.

Son émotion fut si grande qu’elle fut obligée de se tenir aux meubles, pour atteindre le fauteuil où elle s’assit presque défaillante.

Elle frotta ses paupières éblouies comme une personne qui croit rêver, et recommença la lecture.

Elle était forte véritablement. La seconde lecture, au lieu d’augmenter son trouble, lui rendit toute sa présence d’esprit.

Elle saisit de nouveau son sifflet d’or et appela.

« Qu’on harnache à l’instant même le reste des chevaux frais de la grande écurie ! ordonna-t-elle au valet qui se montra, et que ma chambrière prépare tout ce qu’il faut pour ma toilette de voyage. J’emmène avec moi maître Renaud, mon fils. Dans une demi-heure, que le maître de l’écurie et trois palefreniers de Vendôme soient armés et prêts à nous faire escorte. »

Le valet sortit. Éliane resta un moment immobile, les yeux fixés dans le vide. Aucune parole ne tombait de ses lèvres.

Elle rouvrit la lettre pour la troisième fois.

La lettre disait :

« Madame ma nièce,

« La colère de Dieu a visité ma maison, et j’ai peur d’apprendre par votre réponse qu’il soit arrivé quelque infortune chez vous, car voilà mon jeune neveu, Pol de Guezevern, votre bien aimé-mari, héritier de Pardaillan-Montespan-Guezevern, il semble qu’il y ait une malédiction attachée à cet héritage.

« Il y a un an à peine, nombre d’existences humaines et jeunes étaient entre vous et cette fortune que j’appelle funeste au moment de vous l’abandonner. Sans parler de vos parents les plus proches, les Guezevern du pays de Quimper qui sont morts, j’avais autour de moi trois neveux germains de grande espérance, et une nièce germaine, la fille de mon honorée sœur.

« Je n’ai plus personne. Trois fois dans le cours de cette année, l’ange du trépas a franchi le seuil du château de mes pères, et je reçois aujourd’hui de l’armée de Saintonge la nouvelle d’un dernier, d’un double deuil.

« Messieurs mes neveux germains Antoine et Melchior, fils d’Éléonore-Amélie de Montespan, ont été tués tous deux ensemble dans une escarmouche contre les gens de la religion, devant la Rochelle.

« Je n’ai plus rien, je suis seul, et je sens que l’amère tristesse de cet abandon abrège mes derniers jours en les empoisonnant.