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Il y eut un long silence, puis maître Pol reprit :

« À Blois d’où je viens, j’ai eu connaissance de messagers expédiés de Paris. À mi-chemin, j’ai rencontré des gens qui avaient vu une estafette venant de Bretagne, et au gué du Loir, un courrier d’Amboise a passé avant moi… Ce coquin de Mitraille n’est-il point de retour ? »

Au moment où Éliane allait répondre négativement, un grand bruit se fit entendre dans la cour du château. En même temps, des sons de trompe éclatèrent dans les avenues dont le sol retentit sous le sabot des chevaux.

« Route de Bretagne et route d’Amboise ! » murmura maître Pol.

Un valet entr’ouvrit la porte et annonça :

« Voici l’écuyer Mitraille qui arrive de Paris ! »

Mitraille était donc écuyer maintenant ; mais quoiqu’il eût ainsi monté en grade, son vrai nom restait toujours : « Ce coquin de Mitraille. »

Mitraille fut introduit aussitôt.

C’était un bon garçon, court, mais bien bâti, dont le harnais n’avait plus de couleur sous la poussière qui le couvrait de la tête aux pieds.

Pendant qu’il remettait un pli scellé aux armes de Bourbon, avec la brisure de Vendôme, entre les mains de l’intendant, deux autres messagers furent introduits successivement, savoir : un courrier de Bretagne qui apportait les comptes et redevances du domaine de Mercœur, et une estafette, habillée de noir, venant du château d’Amboise.

Comme Guezevern était en train d’ouvrir le pli de M. le duc, lequel, suivant ordre exprès, devait lui être remis en mains propres, Éliane reçut les deux autres messages.

Elle était femme d’affaires, elle ouvrit immédiatement les paquets. Pendant que Guezevern épelait péniblement les quelques lignes de la missive ducale, Éliane dépêcha une demi-douzaine de lettres.

Tous deux pourtant, Éliane et Pol, poussèrent en même temps un cri de surprise savoir : Pol, à la troisième ligne de sa seule lettre, Éliane à la fin de sa septième lecture.

Le cri de Pol était joyeux ; celui d’Éliane disait une sincère douleur.

« Mort de mes os ! fit l’intendant, cette fois, il faudra bien que je revoie ma bonne ville de Paris !

— Monsieur Alexandre de Vendôme, dit Éliane grand prieur de France, a rendu son âme au seigneur. »

Guezevern resta bouche béante.

« Mort ! balbutia-t-il, le cadet de Vendôme !

— Mitraille, mon homme, ajouta-t-il, et vous messieurs, passez à l’office où vous serez servis. J’ai besoin de conférer avec Mme de Guezevern sans témoin. »

L’écuyer et les deux courriers se retirèrent aussitôt.