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un grand soupir et s’en vint baiser le beau front du petit Renaud endormi.

« Peut-être que si je te donnais une sœur…, » murmura-t-elle.

Car c’était là un grand, un vif désir chez l’intendant Guezevern.

Et que faut-il, souvent, pour les fixer, ces hommes-papillons qui jouent le rôle de la femme dans leur ménage ? Quelques années de plus et un souhait accompli.

Il ne faudrait pas croire au moins pourtant que notre Éliane fût-une épouse délaissée.

Mais… mais que voulez-vous ! Elle n’avait pas le temps d’être une femme heureuse.

Et maître Pol voyageait beaucoup.

Aujourd’hui, justement, maître Pol était absent depuis une semaine.

Éliane écarta les cheveux bouclés qui se mêlaient sur le front de son fils.

« Tu ne garderas pas ce nom de Renaud ! murmura-t-elle. Je ne veux pas ! C’est le nom de M. Saint-Venant… »

Puis, fronçant le sourcil, elle ajouta :

« S’il arrive malheur dans notre maison, c’est cet homme qui apportera le malheur ! »

Le sommeil de l’enfant souriait à quelque rêve. Nous parlions tout à l’heure de la passion qui manquait ; il y eut de la passion : une ardente passion dans le baiser que la jeune mère donna à son fils.

« Toi, dit-elle, tu seras riche, tu seras grand, tu seras heureux ! »

Elle tira de son sein une lettre qui contenait, il est vrai, quelques lignes seulement, mais qui commençait par « Madame ma bien chère nièce, » et qui finissait par la signature du comte de Pardaillan.

Aux derniers rayons du jour, elle relut attentivement cette lettre.

Le logis de l’intendant Guezevern était situé à une cinquantaine de pas du bâtiment principal, à droite du rond-point véritablement royal où aboutissaient les quatre longues avenues conduisant à la grille.

On entendit au lointain le galop d’un cheval.

Éliane prêta l’oreille et sourit. Une nuance plus rose vint à ses joues.

« Voilà cinq jours qu’il était parti ! murmura-t-elle. Chaque fois qu’il tarde, j’ai peur que sa fantaisie ne l’entraîne à Paris. À Paris il retrouverait cet homme, et cet homme le perdrait !

— Éveille-toi, amour chéri, ajouta-t-elle en prenant son fils dans ses bras. Voici ton père ! »

L’enfant ouvrit ses yeux chargés de sommeil, et dit : « Je dormais donc, mère ? Ma petite sœur était si jolie dans mon rêve, et je l’aimais tant, si tu savais ! »

Éliane rougit. Une parole vint à sa lèvre, mais la voix de maître Pol retentissait déjà sous le vestibule :

« Ma femme ! mon fils ! maître Renaud ! Éliane ! »

Il était jeune et vif comme autrefois. Sa présence