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et austère figure, coiffée d’écarlate, qui méditait au milieu du siècle frivole, devant cette main de prêtre qui marquait avec du sangla route non encore ouverte que Louis XI avait devinée, et où les révolutions devaient triomphalement passer.

Un soir de la fin de mai, en l’année 1627, Éliane de Guezevern était seule dans le cabinet de M. l’intendant : car toutes les convenances étaient gardées ; le travail entier de la femme restait attribué au mari.

Le jour allait baissant. Les derniers rayons du soleil rougissaient au lointain les jeunes feuillées de la forêt de Vendôme, tandis qu’une fraîche brise, entrant par les fenêtres ouvertes, apportait du parterre le parfum des rosiers en fleurs.

C’était une grande pièce, ayant deux tables, l’une très-large, toute chargée de casiers massifs et d’énormes registres ; l’autre, mignonne avec un petit pupitre flanqué d’une boîte à broderie.

Éliane ne travaillait jamais à la grande table que toutes portes fermées.

Ce soir, elle était à la petite et maniait l’aiguille qui allait si bien à ses doigts délicats ; elle brodait un écran aux armes de son mari. Les deux grands lévriers, favoris de maître Pol, reposaient à ses pieds et le petit Renaud s’était assoupi dans un vaste fauteuil.

Éliane songeait.

Avait-elle trouvé dans son union avec Pol de Guézevern une félicité complète ? Non, certes. Maître Pol, devenu intendant, avait gardé le caractère du page. Sa raison ne mûrissait point ; c’était toujours le même jeune homme amoureux du changement et du bruit.

Mais c’était toujours aussi le même excellent cœur, la même bravoure, la même franchise.

Éliane se l’était dit cent fois : « Mon mari est un exilé. »

Elle aimait son mari sincèrement et gravement. Peut-être, car il faut tout dire, n’avait-elle pas mis dans le mystère de la vie conjugale ce grain de passion qui enchante un intérieur et change le coin du feu en paradis terrestre.

Elle était un peu trop parfaite, notre pauvre Éliane !

Si elle avait lu attentivement dans sa Bible l’éblouissante parabole de Marthe et Marie, elle aurait vu qu’il est bon parfois de travailler un peu moins pour charmer un peu plus.

Surtout quand on a, comme elle, un inépuisable trésor de charmes.

La femme, trop utile, perd souvent la meilleure de ses séductions : la chère, l’adorable infériorité.

Maître Pol était amoureux, mais il y avait dans son amour tant d’admiration et tant de reconnaissance ! c’est là un cruel danger.

Éliane songeait, et je suis sûr qu’elle se disait précisément tout cela, puisqu’elle était fée.

Le jour allait baissant. Elle rejeta son ouvrage avec