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Singulier argument ! prodigieux alibi ! Excuse qui fut donnée tout naïvement « à la bonne franquette, » sans malice comme sans vergogne, déshonorant à la fois une reine, un prélat-ministre, un peuple et le temps !

Maître Pol, cependant, contre sa coutume, fut sourd aux séductions du brelan, voire du passe-dix. Il passa d’un air affairé au milieu de ses compagnons, et demanda :

« Messieurs, je vous prie, M. le duc est-il en son appartement ? »

Il lui fut répondu :

« Te voilà bien pressé de voir monseigneur, Guezevern, pauvre Guezevem ! Le grand prieur a déjeuné à l’hôtel. Monseigneur t’a demandé dix fois. Ventre-sainte-colique ! Mitraille nous en a dit de belles. Joue, mon fils, tu ne verras monseigneur que trop tôt ! »

Et comme maître Pol insistait, le chœur des domestiques de Vendôme lui jeta en faux bourdon ces funestes pronostics ;

« Guezevern, monseigneur a dit que tu aurais les étrivières.

— Et que tu mourrais sous le bâton, Guezevern !

— Guezevern ! Guezevern ! et que tu serais pendu ! »

Notre beau page avait les oreilles sujettes à s’échauffer pour moins que cela.

« Vous en avez menti, valetaille ! s’écria-t-il. Mort de moi ! si quelqu’un oublie jamais que je suis gentilhomme, fût-il bâtard de roi, foi de Dieu ! il verra bien de quel bois nous nous chauffons dans l’évêché de Quimper ! »

Et il s’enfuit, laissant la maraudaille tout enchantée de l’avoir mis en colère.

Il monta quatre à quatre le grand escalier de marbre qui conduisait à la chambre à coucher de son maître. Il n’y avait point d’huissier sur le carré de l’escalier, point de valet dans l’antichambre. Dieu sait que l’hôtel de Vendôme allait, depuis un temps, comme le diable voulait.

Le page écouta à la porte de son maître. Il n’entendit rien. Il ouvrit avec précaution, entra et referma la porte à clef derrière lui.

César monsieur était seul, dans la position, où nous l’avons laissé, le front sur la table, mouillée de vin et de sueur.

Il semblait dormir et ne bougeait pas, quoique son corps eût, par intervalle, de profonds tressaillements.

De temps en temps, sa gorge rendait une plainte sourde.

Maître Pol était un généreux garçon, malgré la guirlande de vices que l’éducation et son entourage avaient nouée autour de son cou, et qui avait déjà maintes fois failli l’étrangler. Il eut pitié de l’abandon où gisait ce misérable prince, et s’approcha de lui sur la pointe du pied.