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Le page s’arrêta, quoiqu’il ne comprît point cette façon latine de dire : Ne touchez pas !

Le drogueur se leva, ôta ses rondes lunettes et développa toute la hauteur de sa taille, qu’il avait longue et maigre.

« Tout le trésor de notre royal maître, Louis XIIIe du nom, déclama-t-il, ne suffirait pas à payer le contenu de ce flacon. Cela s’achète par gouttes, mon fils, et chaque goutte vaut un écu d’or.

— En ce cas là, bonhomme, dit le page avec mauvaise humeur, donne-m’en une goutte et que le diable t’emporte ! Je n’ai qu’un écu d’or entier, avec quelque menue monnaie… et si la goutte ne fait pas miracle, gare à ta nuque, par la sambleu ! »

Le drogueur, au lieu de se fâcher, lui prit la main et en examina l’intérieur avec attention.

« Beau jeune coq de Bretagne ! murmura-t-il, et qui chante haut déjà ! Rude ligne de vie ! mais traversée Dieu suit comme !

« Ohimé ! s’interrompit-il tout à coup. Vous serez comte, monseigneur ! comte de Pardaillan-Pardaillan, ou que je meure sans repentir ! Ne dérangez pas votre main ; je n’ai jamais lu plus curieux livre. Votre femme sera veuve longtemps avant l’heure de votre décès. Et, longtemps après l’heure de votre mort, vous signerez de bonnes cédules… car vous serez homme de chiffres, malgré votre galante épée, mon fils. Et vous oublierez votre propre nom. Par Hermès ! en voici bien d’une autre ! Vous ramerez sur les galères de l’infidèle, et vous ne connaîtrez pas le nombre de vos enfants…

— Bonhomme ! interrompit maître Pol qui riait, malgré votre méchant loup, vos oiseaux et vos serpents, vous êtes un joyeux compère ! Tout cela est fort divertissant, sur ma parole !

— Ohimé ! ohimé, poursuivait Mathieu Barnabi, sincèrement enthousiasmé, la bonne aventure ! vous resterez enterré quinze ans, et vous ressusciterez comme Lazare, pour faire un miracle. Or ça, mon fils, je ne vivrai peut-être pas assez vieux pour voir tout cela, mais cela sera. En attendant, vous aurez, à crédit, assez de mon élixir pour guérir un taureau. Mettez un genou en terre, s’il vous plaît, et recevez la manne ! »

Il avait pris à la main le petit flacon renfermant le précieux liquide.

« Devant le dieu Crédit, déclara maître Pol joyeusement, ce n’est pas un genou que je mettrai en terre. Si j’en avais une demi-douzaine, je les fléchirais tous de grand cœur. »

Et il se prosterna de bonne grâce.

Mathieu Barnabi éleva pieusement la fiole au-dessus de sa tête.

« Ceci, dit-il, est la panthériaque absolue, le résolvant universel, la septième essence du TOUT. Amen.

— Et cela guérit la colique ? voulut constater maître Pol.