Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dame Honorée écrivit à son cousin, le riche comte de ce nom, en la province du Rouergue. Elle n’eut point de réponse.

Dame Honorée voulut interroger elle-même le logeur de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, chez qui la mère d’Éliane était morte. On lui répondit qu’elle devait soixante et quelques livres tournois, plus le mémoire du médecin qui l’avait assistée. On la connaissait sous le nom de dame Isabelle. En son vivant, elle avait l’air d’une femme de qualité, brisée par le malheur. Ses paroles n’étaient pas toujours très-cohérentes. Elle parlait d’un douaire considérable auquel elle avait droit et de juges qu’elle allait solliciter dans ses absences fréquentes et longues. Quels juges ? Nul n’en savait rien. Pendant tout le temps de son séjour à l’auberge, dame Isabelle n’avait reçu personne.

Dame Honorée paya et revint à son logis, où elle reprit l’interrogatoire d’Éliane. La fillette, en vérité, n’en savait pas bien long, et il était manifeste qu’elle ne cachait aucun secret.

Avant de venir à Paris, sa mère et elle demeuraient dans un petit bien de Gascogne, au delà de la ville de Sainte-Affrique ; cela ne valait pas beaucoup mieux qu’une ferme, et l’on y vivait pauvrement. À la question qui lui fut faite, de savoir si ses souvenirs ne remontaient pas plus haut que cet indigent logis de campagne, Éliane devint pensive.

« Madame et maîtresse, dit-elle, je ne sais pas si ce sont des rêves ou des souvenirs. Il me semble que j’étais, toute petite, dans une grande maison où il y avait des hommes habillés de fer. Le matin, dans mon lit, j’étais éveillée par des fanfares. Les chiens aboyaient dans la cour, et les chevaux piaffaient. Chaque fois que je voulais parler de ces choses à ma mère, elle m’imposait silence, en pleurant. »

Ce fut tout. Dame Honorée, au bout d’une semaine, n’avait plus déjà qu’un désir très-modéré de savoir. Savoir c’était s’exposer à perdre Éliane. La famille retrouvée eût réclamé l’enfant. Au bout d’un mois, dame Honorée redoutait les renseignements comme le feu.

Dire qu’Éliane avait pris pied chez elle serait trop peu. Dame Honorée avait besoin d’Éliane ; il semblait qu’elle n’eût jamais vécu sans Éliane, ou que du moins elle ne pût désormais vivre sans elle.

L’enfant était une de ces natures douces et à la fois vaillantes qui s’imposent par la continuité de l’attrait. Ses tristesses charmaient comme son sourire ; sa gaieté se communiquait irrésistiblement. Partout où elle était, elle dominait à l’insu d’elle-même et surtout des autres.

Dame Honorée était heureuse comme une reine et gardait à son beau neveu une reconnaissance infinie. Celui-ci, en effet, mettait dans ses relations avec sa protégée une discrétion digne des plus grands éloges. Il ne rapprochait nullement ses visites, et quand il venait payer ses respects à la bonne dame, c’est à