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— Monseigneur, pour cela, non. Yves Kerbras, le palefrenier de feu monsieur mon père, avait un bien bon remède : Prenez une pinte de brandevin, deux livres de bœuf avec l’os à moelle, du poivre, du sel, de la ruë, du plantain, de l’herbe à cinq coutures, trois gousses d’ail, de la corne de cerf râpée et tamisée, deux touffes de cochléaria, du thym ou, si vous n’en avez, de la sarriette ou du serpolet, un scrupule d’antimoine et le foie d’une tanche ; Faites bouillir sept heures à petit feu, levez et passez, ajoutez deux gobelets de vin blanc et demi-livre de présure fermentée avec fleurs de tilleul et bourgeons de pin. Mettez macérer quatre heures, puis battez au balai qui fait la crème fouettée en laissant tomber tout doucement des poudres de lycopode ou, si vous n’avez, de l’écorce à tanner, pilée bien menu. Repassez, émiettez du pain de ménage que vous maniez avec des mouches cantharides bien sèches et faites tremper jusqu’à l’heure de matin où vous avez coutume de donner l’avoine…

— Comment ! l’avoine ! interrompit César, qui, jusqu’alors, avait écouté pieusement. Est-ce à moi que tu parles, maraud ?

— Hier au soir, acheva le page, j’avais dit à monseigneur que le secret d’Yves Kerbras était pour les chevaux qui avaient mangé trop de vert. »

Un valet entra et annonça :

« Monsieur le grand prieur de France ! »

Guezevern saisit cette occasion pour s’esquiver et gagna tout d’un temps le logis de dame Honorée de Guezevern-Pardaillan, maîtresse de la porte du couvent des Capucines.

C’était une bonne béguine, rose, grasse, fraîche et qui ne semblait point se mourir d’abstinence.

« Madame ma tante, lui dit maître Pol, après avoir baisé une main blanche et potelée qu’on lui tendait, je viens vous confier le cas difficile où je me suis mis.

— Si c’est pour payer encore vos dettes, méchant sujet, interrompit madame Honorée, vous aurez beau dire !

— Point ! point ! s’écria maître Pol. Plut à Dieu qu’il ne s’agît que de cela !

— Comment ! Plût à Dieu ! Est-ce quelque chose de pire ?

— Madame ma tante, vous en jugerez, car j’ai fait dessein de ne vous rien cacher. J’ai grande confiance en vous. »

Maître Pol prit un air modeste et ajouta :

« Je me trouve avoir adopté un enfant. »

La bonne dame joignit les mains et murmura :

« À son âge ! Où allons-nous, Seigneur Jésus ! »

Puis avec colère :

« Bambin que vous êtes, ne pouviez-vous attendre à voir la barbe vous pousser au menton ? »

Maître Pol baissa les yeux et répliqua :

« Je dirai, moi aussi : Jésus Dieu, madame ma tante,