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ment de Renaud, grâce à Dieu, Pol de Guezevern, mon bien-aimé mari, se porte à merveille. J’expliquerai tout à l’heure à Votre Altesse les raisons de son absence. »

Puis, se tournant vers les trois porteurs qui la suivaient, elle ajouta :

« Comptez !

— C’est cela, fit César de Vendôme. Comptons, mes enfants. Ce n’est pas que j’aie méfiance de mon intendant, au moins, mais les bons comptes font les bons amis. »

Saint-Venant et les deux serviteurs versèrent leurs corbeilles sur la vaste table de chêne noir, sous laquelle nous vîmes pour la première fois ce pauvre maître Pol endormi après une nuit d’orgie.

Mme Éliane regardait justement les carreaux de cette haute fenêtre donnant sur le clos de dame Honorée et songeait peut-être aux grains de sable qu’elle lançait d’en bas pour appeler son amant.

Deux grosses larmes brillaient entre ses paupières baissées.

Saint-Venant et les deux serviteurs, surveillés par le chapelain et le majordome, comptaient leurs trois tas d’or.

Pendant que l’on comptait, César de Vendôme passa derrière les rideaux de son alcôve où son chambrier tenait provision de serviettes chaudes.

Chaque tas d’or se trouva contenir, comme nous l’avons dit, quatre mille cent soixante-six louis, auxquels Mme Éliane ajouta deux pièces d’or d’égale valeur pour parfaire les douze mille cinq cents doubles pistoles, représentant cent mille écus tournois.

Dom Loysset et maître Barbedieu déclarèrent le compte juste.

César de Vendôme rentrait en ce moment tout guilleret.

« Ventre saint-gris ! dit-il, cent mille écus en or tout neuf sont une jolie chose à voir ; mais j’en donnerais moitié de bon cœur à qui voudrait inoculer la peste noire à ce croquant de cardinal. Venez ça, charmante dame, car mon intendant est noble, vive Dieu ! et recevez, s’il vous plaît, cette étrenne de cinq cents écus pour vous acheter une garniture de dentelles. »

Éliane s’était approchée, mais elle repoussa d’un geste froid le présent qui lui était offert.

« Qu’est-ce à dire ? demanda le duc qui fronçait déjà le sourcil.

— C’est-à-dire que je refuse, monseigneur, répondit doucement Éliane.

— Monsieur mon intendant, riposta César de Vendôme en souriant d’un air narquois, ne sera pas si fier que cela.

— Monseigneur, prononça lentement Éliane, Votre Altesse, en ce moment, n’a plus d’intendant. »

Renaud tressaillit, car il crut qu’elle allait faire un aveu et peut-être l’accuser lui-même.