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II

COMMENT MAÎTRE POL SE DÉFIT D’ÉLIANE.


Éliane, car c’était elle, fut ainsi portée de la rue Saint-Thomas du Louvre à l’hôtel de Mercœur « à la guerdindaine, » par César, duc de Vendôme, et son page. Elle n’eut point conscience de cet honneur. Comme elle était partie, elle arriva complètement privée de sentiment.

César de Vendôme monta, en nage, le perron de son logis. Depuis des années, il n’avait été à pareille fête, quoiqu’il fût bon soldat, une fois en campagne. Il se coula entre ses draps sans geindre, sans maudire les valets de sa chambre, et dormit comme un loir.

Pol de Guezevern, lui, eut grande peine à mener jusqu’à sa chambrette la belle petite fille qui lui était tombée du ciel, selon sa propre expression. C’était, nous le savons déjà, un garçonnet à la tête chaude, qui avait bon cœur de temps en temps. Il marchait, cette nuit, dans les corridors de l’hôtel de Mercœur, portant d’une main la fillette appuyée contre sa poitrine, de l’autre son épée nue, et résolu à couper court par une estocade à toute plaisanterie de ses compagnons.

Il avait sa phrase toute faite et toute prête. Les gens déterminés sont ainsi. Il comptait dire au premier qui lui barrerait le chemin en faisant des gorges chaudes : celle-ci est ma fille d’adoption : au large !

Or, je vous fais juge. Il avait dix-huit ans. Sa phrase, si bien préparée, eût provoqué des gaietés folles, et il aurait fallu jouer de l’épée.

Heureusement qu’il ne rencontra personne, sinon un écuyer ivre mort, couché en travers du chemin. On buvait dru dans la maison de M. de Vendôme.

Une fois dans sa chambrette, notre page étendit Éliane sur son lit et alluma sa lampe, après avoir fermé sa porte à double tour. Il avait peur que M. le duc ne vînt réclamer son remède contre la colique.

Le plus pressé était de secourir Éliane, que nous appelons ainsi, quoique maître Pol ne sût pas encore son nom. La chambre n’offrait pas précisément toutes les ressources désirables en pareille circonstance, mais il y avait de l’eau fraîche, dont maître Pol usa abondamment.

Tout en baignant les tempes et le front de sa fille