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« Pour les pendants d’oreille, à présent ! annonça Guezevern. Double !

— Je tiens ! » répliqua M. le baron.

Guezevern gagna encore cette troisième partie, puis une autre.

« As-tu assez ? demanda-t-il à Chantereine.

— Oui, répartit cette fois la belle fille.

— Alors, prends l’argent, je vais rentrer en mon logis. »

Chantereine bondit et se jeta sur les pistoles.

M. le baron le laissa faire, mais il dit en se levant :

« Ce jeune gentilhomme est prudent de caractère. »

Maître Pol l’entendit. Tout son sang breton avait monté à sa joue. Il ordonna à Chanterelle de laisser l’argent sur la table, puis :

« Mort de moi ! s’écria-t-il, lequel aimez-vous mieux, mon gentilhomme, du jeu des dés ou du jeu de l’épée ?

— C’est selon, répondit froidement Gondrin, qui était un raffiné de belle volée. Avec messieurs mes amis qui montent dans les carrosses du roi, j’aimerais mieux le jeu de l’épée ; avec vous, je préférerais rattraper mon argent.

— Mort de mes os ! reprit maître Pol, demain il fera jour pour le jeu de l’épée. En attendant je veux vous mettre plus bas qu’un mendiant. Double ! »

Il échappa à l’étreinte de Chantereine qui le retenait, et s’élança vers la table. Saint-Venant lui serra la main comme il passait et lui dit :

« Prenez garde ! c’est un rude joueur et c’est une rude lame ! »

Autant eût valu jeter de l’huile sur un feu ardent. Guezevern était ivre de colère encore plus que de vin. Il reprit place devant le tapis vert et ponta d’un seul coup tout ce qu’il avait gagné à M. le baron. La clientèle entière de Marion la Perchepré vint se ranger autour de la table.

Guezevern gagna haut la main ; c’était la cinquième partie, et on avait toujours doublé depuis la première.

Ceux qui eussent examiné de près Renaud de Saint-Venant à cette heure, auraient vu une expression d’inquiétude assombrir son visage d’ordinaire si placide et si frais.

M. le baron, au contraire, gardait tout son calme.

Quant à la Chantereine, elle ne se possédait pas de joie.

« Double ! cria Guezevern, montrant avec emphase le tas d’or qui était devant lui, et foin de celui qui m’a pris pour un pincemaille ; je doublerai cent fois si l’on veut !

— Bel ami, suggéra Chantereine, tu pourrais cependant bien retirer le prix de mon collier et de mes boucles d’oreilles sur ce tas de pièces d’or ?

— Jamais ! fis maître Pol. Tout est au jeu ! »

Et M. le baron dit :