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Ce n’étaient point des ducs et pairs qui fréquentaient le nid d’amour de Marion la Perchepré, non que les ducs et pairs aient jamais dédaigné les passe-temps de cette sorte, mais parce que, probablement, ils avaient leurs habitudes autre part.

Les chalands de l’établissement appartenaient aux couches inférieures de la noblesse, quoiqu’on y vît de temps a autre quelque grand seigneur déclassé. Le gros du joyeux bataillon se composait des gentilshommes et officiers servant dans les maisons princières, presque tous jeunes, et l’appoint était fourni par une demi douzaine de vieux pêcheurs comme M. le baron de Gondrin-Montespan.

Quant à Marion la Perchepré elle-même, c’était et c’est encore une ancienne jolie fille, car elle est immortelle au moins autant que le Juif Errant, et je penche à croire qu’elle est la Juive Errante. Vous la trouveriez encore au quartier d’Antin ou quelque part, autour des Champs-Élysées, tenant toujours avec honneur son tripot clandestin et menant paître un troupeau de houris, dont elle est la bergère peu vénérée.

Seulement de nos jours, elle est vicomtesse.

Guezevern fut merveilleusement reçu par Marion la Perchepré, qui était une gaillarde d’heureuse humeur, gardant des restes de beauté, mais trop forte en chair selon la coutume de ses pareilles. Elle tenait bonne table, dont elle usait pour son compte abondamment. Sa fortune grossissait déjà, faite de mille hontes et de mille ruines. Elle était estimée. Certains prétendaient que M. le cardinal ne dédaignait point les renseignements qu’elle pouvait donner.

Guezevern trouva chez Marion la Perchepré beaucoup d’anciennes connaissances : ceci doit s’entendre du sexe masculin, car dans ces cabarets d’Armide, les hommes seuls restent, les femmes ne font que passer.

Dans l’espace de cinq ans, le troupeau de Marion la Perchepré avait dû se renouveler bien des fois.

C’était l’heure de la collation. Tout le monde riait, buvait, chantait. La foule brillante se mêlait en un franc et joyeux désordre. Les hommes étaient presque tous beaux et de galante mine, toutes les femmes étaient jeunes et charmantes.

Guezevern se sentit devenir ivre avant même d’avoir porté un verre à ses lèvres. Vous l’absoudrez plus volontiers si nous le confessons ainsi avec une entière candeur.

Le pauvre garçon se réveillait page de M. de Vendôme après ces cinq années de prospère sommeil. C’était ici son centre, sa patrie, son ciel ; il revivait.

Renaud, qui semblait être un favori dans cette Cythère, guida les premiers pas de Guezevern, car celui-ci avait un peu oublié ; mais bientôt l’ancien page retrouva son aplomb d’autrefois, et nagea dans l’orgie comme le poisson dans l’eau.

Au bout d’une demi-heure, il avait conquis la propre maîtresse de Saint-Venant, qui le laissait faire en riant :