Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Franz rougit ; il n’avait pas songé du tout en effet ; et, dans la sincérité de son cœur, il se trouvait bien coupable.

Sara Je regardait avec ses grands yeux noirs chargés de tristesse ; il ne l’avait jamais vue si belle.

Il balbutia quelques excuses embarrassées.

— Vous n’avez pas besoin de vous justifier, Franz, dit Sara mélancolique ; votre excuse, je ne la devine que trop… Vous ne m’aimez plus.

— Pouvez-vous penser ?…

— Il y a si longtemps que je le crains !… Vous êtes un enfant auprès de moi, et au bout de ces liaisons coupables il y a toujours du malheur !

Franz était pris à l’improviste. Il n’avait pas assez de sang-froid en ce premier moment pour découvrir la feinte sous le jeu si vrai de Sara ; il ne sut faire qu’une chose, protester de sa constance et jurer ses grands dieux qu’il n’avait jamais tant aimé.

Et peut-être ne mentait-il pas tout à fait. Il était jeune, ardent, facile, et Sara, l’enchanteresse, attaquait ce cœur ouvert avec des armes éprouvées.

Quel enfant a résisté jamais à une plainte d’amour ?

Sara, d’ailleurs, avait ici tous les avantages ; sa plainte se modulait avec d’autant plus d’art et de charme, qu’elle y pouvait mettre son habileté consommée. Rien ne la préoccupait, en effet ; elle n’avait nulle raison de se croire oubliée, et c’était par calcul qu’elle jouait ce rôle d’Ariane.

Bien au contraire ; elle pensait que l’amour fougueux et jeune de Franz survivrait à son propre caprice. Elle avait entendu parler vaguement des assiduités de Franz auprès de mademoiselle d’Audemer ; mais Sara, faite à tous les triomphes, pouvait-elle craindre une rivale ?

Franz était jeune, bon, sincère. Elle avait fouillé jusqu’au fond des secrets de la vie ; elle avait rongé jusqu’au noyau ce fruit mystique qui perdit notre mère Ève.

C’était Franz qui devait aimer le dernier.

En calculant ainsi on arrive juste d’ordinaire, comme avec les quatre règles de l’arithmétique. Petite était sûre de son fait.