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— Placez-vous auprès de la porte, monsieur mon fils, dit-il, — et si M. le chevalier tente de sortir d’ici, tuez-le.

Martel prit l’épée et se plaça debout auprès de la porte.

— Mais, monsieur mon ami ! murmura le chevalier, quelle mouche vous a piqué, je vous prie ?… Est-ce la rage d’avoir manqué votre coup ?… Nous ne sommes pas si malheureux que vous croyez, et l’attaque de cette nuit…

— Taisez-vous ! interrompit le vieillard…

Kérizat voulut parler encore, mais Philippe et Laurent, qui parmi leur ivresse gardaient contre lui de vagues élans de haine, répétèrent l’ordre de leur père en fichant leurs couteaux dans le chêne épais de la table.

Kérizat pâlit davantage et se tut.

— Mademoiselle de Carhoat, dit le vieillard, — vous avez failli par notre faute, mais il y avait en vous le cœur d’un homme fort… Je crois que vous saurez mourir… Suivez-moi !

Laure se leva, calme et si belle qu’une larme vint au seuil de la paupière du vieillard.

— Je n’ai point failli, murmura-t-elle, — mais je veux bien mourir.

Elle suivit M. de Carhoat, qui ouvrit la petite porte située entre les deux lits, et s’engagea dans le couloir menant aux salles souterraines.

Une sueur froide vint aux tempes de Kérizat ; — bien souvent il avait joué sa vie la rapière à la main, et c’était un homme intrépide, mais il ne sut point supporter l’angoisse terrible de ce moment.

Ses regards effarés firent le tour de la chambre pour chercher une issue ; il se leva par un irrésistible instinct de terreur.

La main de Laurent s’appesantit, lourde, sur son épaule.

— Ah ! ah ! chevalier, dit-il d’une voix avinée, — le vieux Carhoat ne veut pas de cela… Il a son idée… nous allons rire… — Les deux autres frères se prirent à osciller sur leurs bancs et répétèrent avec fatigue :

— Nous allons rire !

On entendit de l’autre côté de la porte du souterrain un bruit sourd, et dont il eût été malaisé de définir la nature… — Quelques instants après, le vieux marquis et mademoiselle de Carhoat reparurent.

La beauté de Laure avait à cette heure un caractère de résignation sublime. Elle avait rejeté en arrière les boucles de ses longs cheveux blonds ; ses yeux noirs souriaient doucement, et il y avait à son front comme une auréole…

Le sang du vieux marquis était remonté à sa joue ; son œil était enflammé, mais ses mouvements étaient hautains et calmes.

— Je vous remercie, ma fille, dit-il à Laure qui se rasseyait.

Puis il reprit en s’adressant à Martel :

— Monsieur mon fils, rendez-moi mon épée.

Martel obéit ; le vieillard poursuivit :

— Vous êtes venu dans ma maison, monsieur mon fils, sans y être attendu et vous y avez parlé en maître… Je suis le marquis de Carhoat, monsieur ! et nul