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— Notre monsieur, mademoiselle Laure est arrivée ce soir et se repose sur le lit du petit M. René.

— Ah ! fit le vieillard, … et René ?

— Il n’est pas revenu, répondit Noton qui secoua tristement sa tête grise.

— Ah ! fit encore le vieillard. Sa figure était morne et ses yeux égarés. — Sers-nous à boire, dit-il.

M. le chevalier de Briant était déjà assis sur l’un des bancs, et avait ses deux coudes sur la table.

En entrant, les trois frères lui avaient jeté des regards irrités. — Le marquis de Carhoat s’avança dans l’intérieur de la chambre d’un pas lent et lourd.

— Marche !… dit-il à son prisonnier.

Celui-ci passa devant. Il portait, comme nous l’avons dit, l’uniforme de soldat du roi. Un large chapeau de paysan lui couvrait le visage, et il croisait ses bras sur sa poitrine.

Il vint se mettre debout auprès de la table, et demeura immobile.

Derrière lui, entra Francin Renard qui ne pouvait plus se soutenir.

Il avait au-dessus de la tempe une large blessure, et sa chemise rougie à diverses places de sa poitrine indiquait d’autres plaies que l’on ne voyait pas.

Il fit quelques pas chancelants à l’intérieur de la chambre ; le sang ruisselait autour de lui. — Puis, il perdit l’équilibre et s’affaissa contre la muraille en poussant un gémissement sourd.

Sa femme Noton s’élança vers lui, épouvantée, et tâcha de le relever. Mais ses mains rencontraient partout une humidité tiède ; elle retomba sur ses genoux, brisée.

— À boire ! à boire ! répéta le vieux Carhoat d’un ton dur et impérieux.

Noton tardait à obéir, parce qu’elle ne pouvait pas…

Francin Renard, mourant, fit un effort pour parler :

— Allons, la femme ! murmura-t-il d’une voix épuisée, — laisse-moi tranquille… j’ai mon compte… va chercher à boire à nos messieurs.

Sa tête, qui s’était redressée à demi, retomba et choqua la pierre de la muraille. — Les Carhoat répétèrent tous ensemble :

— À boire ! à boire ! — Noton se leva, presque folle, et alluma une résine pour descendre à la cave. — Les trois frères prirent place à table.

Le vieux marquis se tourna vers son captif :

— Qui es-tu ? lui dit-il d’une voix rude. Le prisonnier ne répondit point.

Les trois jeunes gens, alors, se prirent à le considérer curieusement.

— Qui es-tu ? répéta le vieux Carhoat avec colère.

Et comme l’autre ne répondait point encore, le vieillard lui arracha violemment son chapeau de paysan. — Les trois frères poussèrent à la fois un cri de surprise. — Le vieillard porta la main à ses yeux et fit un pas en arrière.

— Ah ! bah !… grommela Kérizat, — c’est mon petit compagnon de voyage !… Que diable est-il allé faire dans cette bagarre ?…

Les Carhoat, cependant, ne revenaient point de leur surprise.

Philippe retrouva le premier la parole.