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Kérizat prononça ces paroles en souriant d’un air malicieux.

— Connaîtrait-on déjà le nom des coupables ? demanda Talhoët.

— Oui, monsieur mon ami… Ah ! voyez-vous, notre Bretagne n’est plus un pays perdu… Il y a bien encore quelques bandits çà et là… mais on s’occupe activement de les pendre… Ce sont ces diables de Carhoat qui vous ont fait un mauvais parti dans la forêt.

Le blessé se dressa sur son séant ; il crut avoir mal entendu.

Ce nom de Carhoat, à part même son amour pour Laure, se liait chez lui à des idées de haute noblesse et de position considérable.

— Carhoat, répéta-t-il.

— Oui, oui, reprit Kérizat, — le vieux marquis et ses trois sauvages de fils… Pensez-vous que ce soit là leur coup d’essai ?

— Mais, nous ne nous entendons pas, murmura Talhoët stupéfait ; — il est impossible que vous me parliez de cette famille de Carhoat dont le chef représentait dernièrement encore la noblesse de Morlaix aux États de Bretagne.

— Si fait, monsieur mon ami, c’est précisément cela ! il y a, par ma foi, bien assez d’une famille de Carhoat en ce monde !

— Vous vous trompez, monsieur, dit Talhoët, qui se sentait pris de colère.

Kérizat le regarda en souriant, et il y avait dans son sourire quelque chose d’insolent et de railleur.

— Ah çà ! s’écria-t-il, — monsieur mon ami, ce qu’on m’a dit là-bas à Paris serait-il donc vrai ?… est-ce que vous auriez fait la folie de devenir amoureux de la Topaze ?

— Je ne vous comprends pas, monsieur, dit le blessé.

— À la bonne heure !… On m’avait affirmé que les beaux yeux de la petite Laure avaient fait sur vous la même impression que sur tant d’autres…

La pâleur du blessé devint livide et ses sourcils se froncèrent.

— De qui parlez-vous, monsieur ?… demanda-t-il d’une voix brève et presque menaçante.

— Eh ! pardieu, de la petite Laure, monsieur mon ami… tout le monde connaît cela !… de Laure de Carhoat, que l’admiration générale a surnommée la Topaze !…

Talhoët ouvrit la bouche pour parler, mais sa faiblesse vint en aide à son émotion pour la dompter. Il laissa retomber sa tête sur l’oreiller.

Kérizat continua comme si de rien n’eût été :

— Ma foi, monsieur mon ami, vous sentez qu’avec l’affection que je vous porte, je n’ai pu qu’être extrêmement molesté en entendant porter contre vous cette accusation absurde… Car on ne disait pas que vous étiez l’amant de la Topaze, — on disait que vous aimiez la Topaze… que vous l’aimiez comme on aime une femme à qui l’on veut donner son nom… Que sais-je, moi ? des folies !… J’ai répondu, comme je le devais, par un démenti positif… Que diable ! messieurs, ai-je dit, je sais cela mieux que personne !… La Topaze est une adorable créature ! mais, en définitive, on n’aime pas la Topaze !