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— Du reste, ce n’est ici un mystère pour personne… Il paraîtrait que ce ne sont pas les Loups tout seuls qui mordent là-bas dans la forêt… et que certains gentilshommes ont pris aussi le rôle de détrousser les passants sur les grands chemins. — Laure se sentit pâlir sous son voile.

— Quels gentilshommes ? demanda M. de Talhoët.

Le chirurgien hésita, et Laure se sentit le cœur serré comme si elle eût été en équilibre sur le bord d’un abîme.

On eût dit que le nom qui allait tomber des lèvres de cet homme pouvait être pour elle le coup de la mort !

La bouche du chirurgien s’ouvrit et Laure ne respira plus.

Mais le chirurgien était un homme prudent, qui aimait mieux calomnier dix bourgeois que de médire d’un gentilhomme.

— Eh ! eh ! monsieur le chevalier, répliqua-t-il, — je ne suis qu’un pauvre praticien, et les gens dont je parle passent pour avoir le bras long… D’autres vous diront comment ils s’appellent, car c’est ici le secret de la comédie… Mais le premier devoir de mon état est d’être discret. Voici ma besogne finie… J’ai l’honneur, monsieur le chevalier, de vous présenter mes respects, et je n’ai pas besoin de vous dire qu’à toute heure du jour et de la nuit, je me mets entièrement à vos ordres. — Le chirurgien salua et sortit.

Laure, dont le cœur bondissait, délivré d’un écrasant fardeau, s’élança vers le lit et prit la main du blessé qu’elle porta à ses lèvres.

— Que faites-vous, mademoiselle ? s’écria Talhoët, qui voulut se lever sur son séant. — Laure mit une douce violence à le retenir.

Elle s’assit à son chevet. Son voile était maintenant rejeté en arrière ; les rayons de la lampe éclairaient en plein son charmant visage, entouré de sa luxueuse parure de cheveux blonds.

Talhoët la regardait émerveillé. Il ne l’avait jamais vue si belle. Le ravissement chassait la douleur. Il ne songeait plus à ses blessures.

Il ne songeait plus à rien, pas même à la perte irréparable qu’il venait de faire, et il était heureux.

La main de Laure s’oubliait dans la sienne. Ils se regardaient et ils se souriaient. — Ils s’aimaient. Laure durant toute cette nuit fut sa garde-malade.

Et ce furent de douces heures. Ils avaient tant de choses à se dire et à se rappeler ! Ils avaient si souvent tous les deux souhaité cet instant du retour !

Quand Talhoët renversait sa tête pâlie sur l’oreiller et cédait à la fatigue, Laure retenait son souffle pour ne point troubler son sommeil.

Elle le contemplait avec une tendresse passionnée. La vue de son amant suffisait à mettre dans son âme une joie sans mélange et de radieux espoirs.

Elle ne savait plus rien du malheur qui l’accablait naguère. Le malheur était trop loin d’elle maintenant, et l’amour la gardait comme un bouclier impénétrable.

Cet homme, qui était là devant elle, et à elle, avait eu son premier, son unique amour. Il lui avait enseigné à lire au dedans d’elle-même. Il lui avait appris à la fois l’allégresse et l’angoisse de la passion.