Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Monsieur Renard ! monsieur Renard ! répéta-t-on à la ronde, — l’homme à la ménagère de Carhoat !…

— Ça se pourrait bien, grommela Francin d’un ton protecteur.

Il frappa sur la table avec le gros bout de son bâton et demanda un autre pot de cidre.

— Et quoi de nouveau dans le pays, garçons ? dit-il.

— Pas grand’chose, monsieur Renard, répliqua un gros truand qui était le chevalier d’une de ces dames. — Comme vous voyez, l’argent est rare et les filles sont laides…

Le truand reçut incontinent un monstrueux soufflet qui le fit rire.

— Bien tapé, Marie-Jolie ! cria-t-on de toutes parts.

Marie-Jolie avait eu un succès. Son triomphe la perdit. Elle voulut redoubler la dose et mit sur l’autre joue de son cavalier un second soufflet, mieux appliqué encore que le premier.

C’était un soufflet de trop, paraîtrait-il, car le cavalier prit la pauvre fille aux cheveux, la traîna, renversée, sur le sol humide, et la plongea, hurlante, à plusieurs reprises, dans le ruisseau rouge du Champ-Dolent.

L’assemblée avait des bravos pour tout ce qui était beau.

— Bien rendu, Jozon Ménard ! cria-t-elle en riant et en applaudissant.

La pauvre Marie-Jolie avait pris la fuite, poursuivie par les huées des garçons bouchers du Champ-Dolent.

— Tu es un joyeux, gars, Jozon ! dit Francin qui buvait son verre à petites gorgées. — Eh bien ! les affaires ne marchent donc pas comme tu voudrais ?…

— Ne m’en parlez pas, monsieur Renard ! répondit Jozon. — Il n’y a pas de l’eau à boire, et nous tirons la langue plus longue que le bras depuis que les gens du roi ont mis leur nez du diable sur la Fosse-aux-Loups !

— Ah ! ah ! la Fosse-aux-Loups ! s’écrièrent quelques voix mélancoliques. — Étions-nous bien là-dedans !…

Francin Renard but un coup et cligna de l’œil.

Puis il bourra sa pipe lentement et d’un air qui voulait dire tout plein de choses.

La grande majorité des habitués du cabaret de la Mère-Noire se composait de mauvais garçons de la forêt de Rennes, qui avaient pris le nom de Loups après la dissolution de la résistance politique, et s’étaient fait un repaire de la retraite de leurs devanciers.

Les anciens Loups, qui étaient eux-mêmes les héritiers de l’association politique des Frères Bretons, combattaient pour leur indépendance et pour conserver des privilèges qu’ils croyaient légitimes.

Les Loups de la fin du dix-huitième siècle étaient purement et simplement des bandits, qui ne prenaient même plus la peine d’exploiter ce sentiment antipathique que la majorité des Bretons gardait contre les gens de France.

Ils étaient peu nombreux : ils étaient misérables, et leur unique métier consistait à voler sur les grands chemins ou ailleurs : mais telle était l’obstination