Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut là que je compris, Lucienne, toute l’étendue de notre misère. — Pour la première fois, l’avenir se voila devant mon regard…

Mais que je devais apprendre à souffrir davantage !…

Carhoat n’était que pauvre alors…

Martel se tut. Lucienne pleurait.

Longtemps ils gardèrent le silence. La jeune fille n’osait point interrompre la rêverie triste de Martel, qui se donnait tout entier à ses souvenirs.

— C’est mon excuse, poursuivit-il brusquement. — Nous étions si riches autrefois, Lucienne, et si grands, que j’ai du espérer sans folie !… Je me disais : Dieu nous rendra peut-être une part de ce qu’il nous a pris… Et mon espoir a duré tant qu’il n’y a point eu de honte ajoutée à notre malheur ! mais maintenant, mademoiselle, ce qui était faiblesse deviendrait crime… Je ne veux pas !… je ne veux pas !

Martel s’était levé, sa tête dépassait le bas feuillage des aunes, et petit René put le voir.

L’enfant bondit sur ses pieds, et descendit la rampe en courant.

Il vint se jeter dans les bras de son frère qui, surpris d’abord, le couvrit bientôt de baisers.

— Ah ! je vais tout vous dire, s’écria l’enfant en riant et en pleurant : — Il faut que tu saches tout, mon frère… Il faut que mademoiselle Lucienne soit sauvée et qu’elle soit heureuse, puisqu’elle ne t’a point trahi !…