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Nous franchîmes une ouverture voûtée où il n’y avait plus de porte.

Nous gravîmes le grand escalier, et nous entrâmes dans une vaste salle où les rayons de la lune entraient par les fenêtres et par le plafond ouvert.

« — Asseyez-vous, enfants, nous dit mon père, — vous êtes ici chez vous… tout cela vous appartient ! »

Nos regards parcoururent ces murs humides et nus.

« — Asseyez-vous ! » nous répéta mon père.

Nous cherchions des sièges, — il n’y avait que des décombres…

Mon père prit place sur une poutre tombée du plafond, et nous nous mîmes auprès de lui.

À cette heure seulement, je pus m’apercevoir que sa respiration était courte et haletante. Ses yeux brillaient outre mesure et des tressaillements soudains agitaient son corps.

« — Les fous ! s’écria-t-il ; — les misérables fous !… Ils disent que Carhoat est un mendiant !… Ils ne savent donc pas que Carhoat ne peut vendre la terre qui porte son nom, et que nos seigneurs les ducs lui enviaient ce royal château !… Ils n’ont donc pas vu ces nobles murailles, au pied desquelles tant d’Anglais sont morts, et qui abritent de si fières magnificences !… Ils n’ont pas vu ces tentures de soie, ce velours, cet or… Ils n’ont rien vu, et ils parlent ! »

Il eut un rire sec et strident.

« — Je les amènerai ici, dans mon château, reprit-il, — je le leur montrerai, salle par salle, avec son riche ameublement et son luxe prodigue !… Je les écraserai sous ma splendeur !… et ils iront à Rennes dire qu’ils en ont menti et que Carhoat est un grand seigneur !… »

Ces paroles insensées faisaient un contraste navrant avec le morne aspect de cette ruine ravagée.

Il n’y avait rien, — rien que des croisées sans vitraux, de larges brèches et des monceaux de poussière recouvrant le plancher…

Laure regardait notre père et avait les larmes aux yeux.

Je voulus parler ; ma voix s’arrêta entre mes lèvres.

« — N’est-ce pas, enfants, tout cela est bien beau ! s’écria mon père après un silence et d’une voix qui éclata tout à coup. — N’est-ce pas que tout cela est bien riche, et qu’il n’y a point au monde d’aussi noble demeure que le château de Carhoat !… »

Il commença un éclat de rire qui se termina en un gémissement.

Sa tête tomba entre ses mains. Son corps chancela, et il s’affaissa comme une masse inerte dans la poussière.

La lune donnait à cette scène de désolation sa pâle lumière. — Il n’y avait rien là qui put guérir ou porter secours.

Nous étions seuls, auprès de notre père mourant, dans les ruines de notre demeure !