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Elle ne chanta plus.

Tous les jours il y avait deux cœurs attentifs à la complainte de Bleuette. Ce matin, elle était seule, complètement seule. Petit René ne la suivait pas de loin effleurant la mousse de son pas timide. Il n’était point caché derrière quelque buisson voisin. Il ne l’entendait pas.

Oh ! s’il l’avait entendue, comme il serait venu s’agenouiller auprès d’elle ! comme il eût penché doucement sa blonde tête d’ange au-dessus du visage désolé le la jeune fille, et que de pleurs silencieux il eût mêlé à ses larmes !

Mais petit René n’était point dans la forêt. — La veille au soir, lorsqu’avait pris fin le conciliabule des Carhoat et du chevalier de Briant, il n’avait pu fuir assez vite, parce qu’il ignorait le chemin à prendre pour sortir de ces souterrains inconnus. Il n’avait pu que se blottir contre la muraille dans la salle circulaire.

Son père, ses frères, le chevalier et Francin Renard avaient passé auprès de lui sans le voir.

Puis la porte s’était refermée à double tour, et il était resté prisonnier dans les salles souterraines.

D’abord il avait eu grand’peur, car la résine pendue à la muraille était éteinte depuis longtemps et il était entouré d’une nuit profonde.

Mais il avait un cœur généreux ; sa frayeur céda bientôt à la pitié que lui inspirait le sort promis aux deux filles de M. de Presmes, dont l’une était l’amie de Bleuette et la fiancée de son frère Martel qu’il aimait tant.

Et cette pitié se mêlait à une douleur amère, inconsolable.

Son père, qu’il avait respecté jusqu’alors, ses frères qu’il chérissait si ardemment, il venait de surprendre leur commun secret.

Ils n’osait point se dire ce qu’ils étaient. Peut-être n’aurait-il pas pu ; car il ne savait guère le monde. Mais l’instinct de son cœur suppléait à son ignorance, et lui montrait la barrière qui sépare le bien du mal, l’honneur de l’infamie…

Ceux qui avaient sa tendresse étaient des criminels ! Il comprenait leur honte. Il devinait le crime fatal de sa famille, lui, le pauvre enfant, qui n’avait point connu la gloire de ses aïeux !…

Il venait d’entendre parler de rapt et de vol, le verre à la main, au milieu des éclats de rire.

Ces salles souterraines dont on lui avait toujours caché l’existence, avaient sans doute leurs mystères de chaque nuit. Tandis qu’il dormait, on y menait l’orgie et l’on y combinait les méfaits du lendemain.

Longtemps il resta immobile à l’endroit où il se trouvait lors du départ de son père et de ses frères.

Puis, comme la muraille humide et froide glaçait ses pauvres petits membres demi-nus, il se souvint d’avoir vu des vêtements à l’autre extrémité de la salle.

Il la traversa en tâtonnant, décrocha les habits pendus à la muraille, et s’en fit une sorte de lit sur lequel il se coucha.

L’idée lui vint que peut-être on n’entrait pas tous les jours dans ces apparte-