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Saulnier se rapprocha.

— Sans me prononcer aussi péremptoirement que mon savant confrère, dit-il, je crois qu’un long voyage pourrait avoir des inconvénients.

— Ne dites pas cela ! s’écria le malade, dont la joue recouvra un incarnat léger ; vous êtes d’habiles médecins… vous savez tout… mais vous ne connaissez pas mon mal !

— Si fait, interrompit encore le Portugais de ce même ton sec et cassant.

Laurens leva sur lui un regard effrayé. Petite ne bougea pas et continua de lui tourner le dos.

Mais c’était un grand effort qu’elle faisait sur elle-même. Sa bouche se fronçait malgré elle, et l’on voyait s’agiter, soumis à une tempête nerveuse, les muscles de ses doigts.

Laurens secoua sa tête renversée sur l’oreiller.

— Non, non, ami, dit-il avec lenteur et en s’adressant à José Mira, vous ne savez pas où je souffre !… personne au monde ne le sait !… Sara elle-même, cet ange que Dieu a mis auprès de moi pour diminuer mon martyre, Sara n’a jamais pénétré le secret de mon cœur…

Il y avait dans ces paroles une contre-vérité si navrante, que Sara elle-même, cuirassée contre tout remords, sentit un instant sa conscience ; mais ce ne fut qu’un instant.

À peine eut-elle le temps de baisser les yeux ; elle les releva dans un sourire.

Elle pressa les mains du malade contre son sein avec une reconnaissance douce et merveilleusement jouée.

Laurens souriait, lui aussi ; mais que de tristesse accablante derrière son sourire !…

Il s’épuisait en un suprême effort pour conserver le dernier bien qui lui restât : l’opinion du monde et la renommée d’être heureux.

Le jeune médecin ne voyait rien de tout cela ; mais Mira lisait comme en un livre dans l’âme ulcérée du malade.

Il ne faudrait point affirmer que cette immense détresse lui causât une véritable pitié. Le sentiment qu’il éprouvait était surtout égoïste ; il avait