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Ils se mesurèrent, se menacèrent du geste et prirent une position hostile Les gens de Presmes les entouraient et riaient à gorge déployée, à les voir ainsi malmenés.

Ces rires exaltèrent la fureur des deux anciens amis, qui se ruèrent l’un contre l’autre avec rage.

Quand on les sépara, l’infortuné Jaunin avait perdu sa seconde oreille, et une bosse incommensurable était sur le second œil de Penchou.

On les laissa prendre rendez-vous pour le lendemain, toucher majestueusement la garde de leurs épées, et se promettre un combat plus digne de gentilshommes.

Cependant où étaient passés les brigands ? — Car il y avait eu là une attaque nocturne : les abattis en faisaient foi, et d’ailleurs on venait de trouver le malheureux valet de Talhoët gisant à terre privé de sentiment et comme étouffé sous le poids de Renard qui s’était assis sur sa poitrine.

Les coups de crosse qui étaient tombés sur le crâne de M. de Presmes et auxquels une tête bretonne avait pu seule résister, partaient évidemment d’une main étrangère. — Les paroles menaçantes et radieuses, prononcées aux oreilles du vieux veneur, au moment où les torches étaient arrivées, ne pouvaient laisser aucun doute à cet égard.

Battre la forêt était désormais chose impossible.

On dut se déterminer à regagner Presmes, avec l’homme évanoui qui commençait à reprendre ses sens.

Comme on rassemblait les chevaux occupés à brouter paisiblement, on entendit au plus fourré de l’abattis un gémissement faible.

Tout le monde s’élança de ce côté.

Après un instant de recherche, on découvrit entre les branchages un homme renversé sur le dos, qui laissait échapper des plaintes confuses.

Cet homme avait un masque de peau sur le visage.

— Oh ! oh ! dit Hervé Gastel, nous avons eu affaire aux Loups !

Le vieux de Presmes se courba et souleva le masque du blessé.

— Prégent de Carhoat ! murmura-t-il. — Pas n’est besoin de chercher pour deviner quels étaient les autres !…

— Voilà de quoi faire pendre toute la couvée de Marlet ! dit le maître-piqueux.

M. de Presmes lui imposa silence par un geste où il y avait de la tristesse.

— Carhoat s’est assis bien souvent à ma table, pensa-t-il tout haut ; — et bien longtemps je l’ai nommé mon ami… était-ce donc ainsi que devait finir cette noble race ?…

Il s’interrompit et passa le revers de sa main sur son front incliné, puis il se redressa tout à coup, et son visage paisible prit une expression sévère.

— Mais je suis officier du roi, dit-il en changeant de ton, — et mon devoir est tracé… Qu’on charge cet homme sur un cheval, et qu’on le conduise à Presmes, jusqu’à ce qu’il soit en état d’être aux mains de M. le lieutenant criminel.