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branches et les troncs, renversés pêle-mêle, poussaient en tous sens leurs menus rameaux, et formaient comme un large piège où devait tomber leur victime.

L’idée appartenait au vieux Carhoat. Prégent l’avait combattue par forfanterie et Kérizat pur insouciance.

— Nous sommes cinq contre deux, avaient-ils dit ; — à quoi bon ces excès de précautions !… — Mais Carhoat avait répondu :

— On ne tue pas un Breton comme un chien… Si c’était un Français, je ne me donnerais pas tant de peine.

L’argument n’admettait point de réplique.

D’ailleurs ce coup de main était le prélude de l’attaque du château. Il ne fallait pas s’exposer à échouer ainsi, avant même que la vraie bataille fût engagée.

Carhoat eut gain de cause, et la tête de la route de Rennes fut fermée par le perfide abattis.

Le vieillard se posta au centre de ce piège, le fusil à la main. Les deux autres prirent place sur les bas-côtés. — Francin Renard forma l’arrière-garde.

L’ennemi ne se fit pas attendre.

Il y avait trois minutes à peine qu’ils avaient pris position, lorsque M. de Talhoët, débouchant par la route opposée, s’engagea dans le rond-point.

Le vieux Carhoat se fit un porte-voix de ses deux mains.

— Ho ! oh ! oh ! cria-t-il lentement.

M. de Talhoët s’arrêta court au milieu du rond-point.

Et à l’instant même une voix partant de la route qu’il venait de parcourir répondit :

— Ho ! ho ! ho !

— Les enfants sont là, murmura le vieux Carhoat. — Attention, et tenons-nous fermes… Il est à nous. — Les enfants étaient là en effet ; Laurent et Philippe se cachaient derrière les derniers arbres de la route. — Ils avaient suivi M. de Talhoët depuis la Fosse-aux-Loups.

Ce dernier tira son épée, et prit un pistolet de la main gauche. Son domestique l’imita — Il n’apercevait qu’un seul ennemi debout, au milieu de la route qui conduit à Rennes.

— Pique des deux, Gérard, dit M. de Talhoët à son valet.

Les chevaux éperonnés à la fois, s’élancèrent et vinrent s’empêtrer dans les fortes branches munies de leurs rameaux, qui avaient été jetées à dessein en travers la route.

Celui du valet s’abattit au bout de quelques pas. — Au même instant Talhoët sentit le sien s’arrêter, bien qu’il lui mît ses éperons dans le ventre.

Il finit par s’apercevoir qu’un homme tenait le cheval par la bride, et en jetant les yeux autour de lui, dans son inquiétude, il vit que des ombres noires avaient surgi de tous côtés et l’entouraient.

Ces ombres qu’il distinguait vaguomeot dans la nuit, étaient au nombre de six et semblaient n’avoir point de visage.

— Allons, cher monsieur de Talhoët, dit une voix railleuse qui sortait évidem-