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il piqua des deux pour rejoindre ses compagnons, lesquels le maudissaient de tout leur cœur. — Philippe et Laurent se regardèrent dans leur cachette.

— Voilà qui ne vaut rien, dit l’aîné de Carhoat. — La chasse est encore en forêt, et ce vieux fou de Presmes pourrait bien nous donner du fil à retordre !

— Bah ! répliqua Philippe ; — la forêt est grande, et il faudrait du malheur pour que la chasse arrivât justement sur nous.

Le vent du soir qui s’élevait passa sur le ravin, apportant les notes affaiblie d’une fanfare. — Les deux frères prirent un air inquiet.

— Ce n’est pas la trompe de ce grand niais, murmura Laurent ; et je reconnais le coup de langue du maître piqueur de Presmes qui sonne au relance.

— La chasse va passer, répliqua Philippe, — c’est ce qui pouvait nous arriver de mieux… Après cela, nous aurons le champ libre.

Un nouveau coup de vent apporta un écho plus lointain des mots de la trompe ; Laurent frappa du pied.

— Les voilà qui s’éloignent ! — Ils vont et viennent comme de piètres veneurs qu’ils sont !… Pour peu qu’ils s’attardent encore, au lieu du sanglier perdu, ils vont trouver quelque chose qu’ils ne cherchent pas !…

— Tout de même, murmura Francin Renard, — ça se pourrait bien… mais, respect de vous, nos maîtres, voilà quelqu’un qui nous arrive…

— Chut ! fit Laurent, — cette fois c’est le Talhoët ou je veux être pendu, quoique je sois gentilhomme !

La route faisait un coude un peu au-dessous de la Fosse-aux-Loups, pour remonter ensuite directement vers Saint-Aubin-du-Cormier.

Les deux Carhoat remirent l’œil au trou de l’arbre parce qu’ils entendaient de nouveau le bruit des pas d’un cheval. — Dans ce cavalier, nos lecteurs auraient reconnu l’original du portrait suspendu par une chaîne d’or au cou de la Topaze.

Il était, ainsi que son valet, fort bien armé et monté.

Sur la croupe de son cheval il y avait une valise en gros cuir, affaissée et plate, qui semblait réellement contenir autre chose que des chemises de rechange.

— Ce diable de Kérizat ne s’est pas trompé d’une demi-heure ! dit Philippe joyeusement. — Voici la nuit qui tombe ; c’est comme un rendez-vous où tout le monde est exact… reconnais-tu le cavalier ?

— Oui, oui, répliqua Laurent ; — c’est bien M. de Talhoët… un des plus beaux soldats que j’aie vus de ma vie… Alerte, Francin Renard, ajouta-t-il, — coupe à travers le taillis, mon homme, et va prévenir ces messieurs pour qu’ils ne laissent pas passer le lièvre entre leurs jambes.

— Oui, notre monsieur, répondit Francin Renard, qui sortit de l’arbre aussitôt et se glissa parmi les hautes herbes du fond du ravin.

Avant d’entrer dans le taillis, il tourna la tête vers le voyageur, qui poursuivait sa route sans défiance.

— Ce lièvre-là, grommela-t-il, pourrait bien tenir les abois mieux qu’un sanglier de quatre ans !