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Elle passait hautaine, faisant pâlir toute beauté rivale devant la sienne, et attachant tous les yeux à son sourire.

Le temps était magnifique : c’était une de ces douces journées d’automne, où le soleil semble nous faire de caressants adieux.

Toute la société noble de Rennes semblait s’être donné rendez-vous sur les Murs. C’était une cohue brillante où les parures étincelaient et où l’œil indécis ne pouvait point se fixer, parce que de toutes parts l’appelaient de frais et charmants visages.

Laure parut, et les plus belles pâlirent. Les souveraines de la mode sentirent leur royauté déchoir.

Laure éblouissait. Il n’y avait plus de regards que pour elle. Son cercle se grossissait aux dépens de ses anciennes rivales, et sa monture avait peine à fendre les flots de ses adorateurs.

Chacun voulait mettre son hommage à ses pieds. — Tous quêtaient une part de son sourire.

De loin, celles qui étaient pures ou passaient pour telles médisaient, maudissaient et se plaignaient.

Leurs paroles de colère étaient comme un aveu de la victoire de Laure. Leurs regards de mépris proclamaient son triomphe, et ce nom de la Topaze qu’elles prononçaient comme un outrage montait au-dessus de la foule, répété tant de fois, qu’il ressemblait à une acclamation.

C’était pour cette vaine gloire que Laure de Carhoat avait vendu son bonheur.

Qu’il y avait de souffrance derrière son sourire et que son cœur pleurait, tandis qu’elle passait superbe, écrasant les haines soulevées sous le poids de sa merveilleuse beauté !…

À ses côtés, M. le lieutenant de roi chevauchait, fier et tout enflé du bonheur qu’on lui supposait.

Il faisait bien des envieux, et plus d’un gentilhomme, qui suivait de loin la cavalcade, eût donné dix ans de sa vie pour un seul des jours de ce fortuné lieutenant de roi.

Ces jours tant jalousés se passaient à subir docilement d’impérieux caprices, à ramasser un éventail, à frapper en vain à une porte close…

Mais il y a des gens pour qui la jouissance suprême est de paraître heureux !

M. le marquis de Coëtlogon n’eût pas changé son sort contre celui du roi de France.

Les heures s’écoulaient. — Peu à peu toutes les belles dames de Rennes, ulcérées et vaincues, cédèrent la place. — La Topaze resta maîtresse du champ de bataille au milieu de la foule de ses soupirants.

Une cavalcade nombreuse lui faisait maintenant escorte, et son retour à l’hôtel était une véritable marche triomphale.

En arrivant à la porte cochère, elle arrêta M. le lieutenant de roi qui voulait en franchir le seuil.