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Maître Colin, dit Ménélas, à cause du caractère aimable de sa femme, replaça son peigne dans sa trousse. Il avait achevé de crêper le côté gauche.

Sa main se glissa, adroite et légère, entre les divers étages de la coiffure, afin de leur donner la symétrie convenable.

Et tout en activant son travail, il continua :

— Comme madame peut le penser, personne ne perd jamais le respect qui est dû à madame… on cause, on admire, on fait des souhaits… mais celui qui se permettrait de parler autrement qu’il n’est convenable trouverait close le lendemain la porte de ma boutique.

Le perruquier fit un geste noble pour accompagner cette chevaleresque déclaration.

— D’ailleurs, ajouta-t-il, un mot prononcé de travers mettrait au vent vingt rapières… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit… Je voulais rapporter à madame une petite histoire pour rire, si elle daigne m’en accorder la permission.

— C’est fait, n’est-ce pas ? demanda brusquement la Topaze.

— À l’instant, répliqua maître Colin, — un peu de poudre et tout sera dit… Voici la chose… M. le vicomte de Plélan, se trouvant hier dans ma boutique, me disait : Colin, mon ami, tu es un gaillard bien heureux !… Veux-tu que nous fassions une affaire ensemble ?

Moi, j’ai répondu : — À vos ordres, monsieur le vicomte.

— Écoute, a-t-il repris, — je vais te compter vingt-cinq louis… et toi tu vas me donner en échange ta trousse, ta houppe, et ton frac lilas.

Moi, j’ai répondu : — Monsieur le vicomte veut railler… Mon frac lilas, ma houppe et ma trousse, je lui donnerai tout cela pour quatre pièces de six livres.

— Non pas, non pas ! a répliqué le vicomte. Je veux autre chose encore, et ce n’est pas trop de vingt-cinq louis pour cela… Je veux que tu me laisses aller à ta place demain. — J’ai vraiment peur d’importuner madame, s’interrompit le perruquier en prenant position à quatre pas pour lancer la poudre qui devait mettre un nuage blanchâtre sur les admirables cheveux de Laure.

Celle-ci n’avait garde de l’encourager ; elle n’avait pas entendu un mot de l’anecdote.

Le perruquier agita la houppe en faisant ce geste que la tradition nous a gardé, et qui sert encore à nos gamins de Paris, pour exprimer leurs espiègles dédains.

La poudre se prit à voltiger, emplissant la chambre d’une vapeur odorante. Malgré la distance, l’adroit Colin en envoyait une bonne part à la tête de la Topaze, qui blanchissait peu à peu comme un arbre où se forme le givre.

Le silence de Laure l’intimidait.

Ce fut entre ses dents et à voix basse qu’il dénoua son anecdote.

— Madame sait bien, murmura-t-il, que j’aimerais mieux tomber de mort subite que de m’exposer à l’offenser… M. le vicomte de Plélan est un galant