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passion la courbait domptée. Elle voulut combattre. Le trait s’enfonça-davantage : elle aimait, elle était esclave.

Ce furent quelques jours de délices parmi l’amertume de sa vie. Le chevalier Amaury de Talhoët, vivant habituellement à Paris et absorbé par les intrigues politiques où il se trouvait étroitement mêlé, ignorait l’histoire de mademoiselle de Carhoat, et jusqu’à son existence.

Ses apparitions en Bretagne étaient courtes et rares, il était à Paris l’une des têtes du parti de la résistance. Bien jeune encore, il avait trempé dans toutes les conspirations, malheureuses ou avortées, qui se succédaient presque sans relâche depuis dix ans.

Il ne vit dans Laure qu’une femme merveilleusement belle et dont le cœur valait le visage.

Lui aussi se croyait à l’abri de l’amour derrière ses fatigues politiques.

Mais c’est là une insuffisante cuirasse, et le chevalier aima éperdument.

Laure, qui avait bravé la honte pour humilier ses rivales, joyeuses de la chute de sa famille, n’avait que les apparences contre elle. Sa fière royauté tenait ses courtisans à distance, et, si elle n’était pas pure, puisqu’elle permettait à un homme de semer autour d’elle cette profusion luxueuse qui l’entourait, du moins n’avait-elle donné à cet homme d’autre droit que de mentir impunément en l’appelant sa maîtresse.

Aux premières lueurs de cet amour, elle se sentit éclairée. Un courage immense lui remplit le cœur. Elle crut qu’il ne tiendrait qu’à elle de jeter à ses pieds ce voile de honte qui n’était point à elle et dont elle se laissait couvrir.

Elle espéra. L’avenir lui apparut radieux. Elle vit le ciel s’ouvrir.

Mais ce fut pour retomber, froissée, au fond de la vérité triste.

Le chevalier partit laissant derrière lui un serment. Laure revint à Rennes.

À Rennes, elle sonda son malheur. Le chevalier n’était plus là pour la soutenir et mettre son amour au-devant de la réalité. Le regard de Laure pénétra jusiqu’au fond de sa misère.

Elle vit autour d’elle ces hommages impudents qui l’entouraient, qui la pressaient, qui la marquaient au front d’un signe d’infamie.

Elle se recula épouvantée ; il n’était plus temps : elle était la Topaze, l’idole que chacun avait le droit d’adorer.

C’est alors que la torture fut cruelle, et que le désespoir vint peser sur ses heures de solitude.

Au dehors, l’orgueil la soutenait : elle retrouvait ses beaux sourires pour braver l’envie ameutée.

Au dedans, elle fléchissait éperdue ; son âme navrée n’avait plus ni force ni courage, et souvent le paroxysme de son martyre la jetait, comme aujourd’hui, brisée, sur le tapis de son boudoir, témoin discret de son supplice…

Elle avait mesuré sa situation. Comment espérer encore ? Le chevalier pourrait-il aimer la Topaze ?…