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bouche où venaient errer de pensifs sourires. — Son teint éblouissait ; l’ovale pur de son visage s’élargissait au-dessus des tempes et donnait à son front une majestueuse ampleur.

Cette femme eût été belle à la manière de ces types effacés et divins qui se perdent au-dessus des nuages et que nous adorons de trop bas. Mais quelque chose ramenait ses perfections au niveau de la terre…

L’admiration se heurtait à une bizarrerie qui était une séduction nouvelle, et qui faisait oublier l’ange pour désirer la femme.

Sous les boucles molles de ces cheveux blonds si fins et si doux, il y avait deux fiers sourcils bruns, dessinés hardiment, et des yeux noirs dont l’étincelle commandait, impérieuse.

Ce regard, dont l’audace inattendue s’allumait parmi tant de douceur, avait d’irrésistibles charmes.

Parce que, bien souvent, leur hardiesse s’éteignait en des langueurs molles qui donnaient à cette femme deux beautés distinctes et lui livraient les deux portes du cœur…

Elle se nommait Laure de Carhoat. Sa merveilleuse beauté avait chauffé jusqu’à la poésie l’esprit lent des jeunes gentilshommes rennais, qui l’avaient appelée la Topaze.

C’était bien en effet une pierre précieuse. Les reflets blonds du collier de topazes qui entouraient son cou d’ordinaire ne brillaient pas si doucement que ses cheveux.

Mais quel cœur y avait-il derrière l’attrait exquis de ce visage ?…

Son coude s’appuyait au coussin du sopha, et l’une de ses mains disparaissait sous les masses ondées de sa chevelure ; son autre main tenait une chaîne d’or où était passé l’anneau d’un médaillon.

Elle jouait avec ce médaillon, l’élevant parfois au-dessus de sa tête pour lui darder un long regard d’amour, et parfois le posant sur son cœur dont les battements venaient le caresser.

La lumière, entrant par les deux fenêtres ouvertes, tombait d’aplomb sur elle et faisait rayonner son sourire.

Car elle souriait bien tendrement, et la tristesse de sa rêverie était douce…

Au-dessous d’elle, sur le tapis, il y avait deux ou trois énormes bouquets de fleurs d’automne.

Le médaillon, si chèrement contemplé, représentait un homme d’une trentaine d’années, au visage noble et fier, portant le costume à la mode parmi les gentilshommes bretons.

La poudre donnait de la douceur à sa physionomie un peu trop hautaine ; son regard perçant avait de la franchise et parlait d’honneur.

On reconnaissait une de ces têtes de preux qui traversaient de temps à autre les États de Bretagne, et tenaient au siècle étonné le langage chevaleresque des anciens jours.