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Il se disait : — Mon père et mes frères sont si bons !…

Mais sa pâleur revint bientôt plus mate, et, dans ses grands yeux baissés, deux larmes roulèrent…

— Ce qu’il faut savoir au juste, reprenait en ce moment le vieux Carhoat, c’est la route qu’il suivra… Vient-il par Vitré ou Fougères ?

— Par Fougères, répondit le chevalier. — M. de Talhoët a des parents en Normandie qu’il aura voulu saluer au passage… Comptez qu’il passera par Saint-Aubin-du-Cormier.

— Alors, dit le vieillard, il faudra nous séparer en deux camps… Philippe, Laurent et Francin Renard se posteront devant la Fosse-aux-Loups… Le chevalier, Prégent et moi, nous nous cacherons aux environs de la croix de Mi-Forêt.

— M. de Talhoët nous passera les premiers, dit Philippe. — Faudra-t-il l’abattre de loin, ou l’aborder et lui laisser la chance de s’exécuter de bonne grâce ? — Le pauvre petit René tremblait derrière la porte, et se sentait défaillir.

— Ni l’un ni l’autre, répondit le vieux Carhoat — C’est le dernier rejeton d’une bonne souche et c’est un vrai Breton… Nous nous sommes battus ensemble comme il faut lors de la conspiration des princes… Si c’était un Français, je n’y verrais point d’inconvénient, mais les Bretons se font rares… Ne lui prenons que sa bourse ! — Kérizal approuva du geste. — Le vieux marquis poursuivit :

— Quand M. de Talhoët aura passé la Fosse-aux-Loups, vous nous enverrez Renard par la traverse, enfants, là-bas, à la croix de Mi-Forêt… en même temps vous le suivrez par derrière à distance convenable… Par ce moyen, le pauvre Talhoët, en arrivant à Mi-Forêt, sera pris entre deux feux et n’aura même pas l’idée de se défendre.

— Bravo ! s’écria Kérizat. — Ah ! diable, mon vieux camarade, je serais mal venu maintenant à vouloir vous donner des leçons !… mais votre raisonnement pèche par un point… nous aurons beau être six contre un, Talhoët se défendra, je vous en avertis… nous serions dix qu’il se défendrait encore… nous serions vingt qu’il ne s’en défendrait que mieux… Vous l’avez dit : c’est un Breton.

— Dame ! fit Laurent, s’il veut absolument se faire tuer…

— Ça le regarde, ajouta Philippe.

Prégent haussa les épaules et dit : Bah !

Kérizat et le vieux Carhoat firent le geste de Ponce-Pilate se lavant les mains de la mort de Jésus…

Petit René, immobile d’horreur, n’avait même plus la force de s’enfuir.

— Voici donc une affaire arrangée ! dit le chevalier. — Buvons à notre succès et parlons d’autre chose !

— On trinqua cordialement.

— À nous quatre, maintenant, mes jeunes messieurs ! reprit le chevalier, en s’adressant aux trois frères. — Nous sommes rivaux ; à présent que nous savons