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beau être plus noirs que le diable, petit René nous gardera une place à chacun dans le paradis…

Et, en vérité, si un ange avait le pouvoir de mettre sa sainte pureté comme un manteau de protection sur la faute d’autrui, René de Carhoat eût racheté les crimes de sa famille.

C’était un enfant naïf et bon comme Dieu les aime. Il n’y avait en son cœur que de l’amour. Sa vie était une prière et un chant.

La solitude avait mis de la tristesse dans son sourire ; mais c’était la tristesse suave, qui n’a derrière soi ni l’envie ni le remords.

Il était seul toujours. — Ses grands bois lui enseignaient leur austère poésie. — Il savait parler à Dieu le beau langage de l’enfant qui aime.

Car il aimait. Une céleste image était toujours parmi ses songes. Un chant adoré berçait son sommeil.

Où avait-il commencé d’aimer Bleuette ? Il ne savait. Savait-il qu’il l’aimait !

C’était un culte ignorant et pur, — de muettes extases : une adoration qui s’exhalait en prières émues et qui, avec elles, s’en allait vers Dieu.

Bleuette était bien belle ! son doux sourire restait tout au fond de l’âme de l’enfant, oui savait le retrouver, aux heures où l’on cherche au dedans de soi-même.

Ce sourire rayonnait quand l’enfant était heureux. Lorsqu’il se sentait triste, le sourire se voilait de tristesse.

Le matin, il allait, cherchant dans le bois les fleurs cachées, ou cueillant les sveltes bleuets des blés. — Il en tressait de belles couronnes pour les donner à Bleuette.

Mais quand les couronnes étaient tressées et que les fleurs se mariaient brillantes, René n’osait plus… — Il descendait au bord de la Vanvre et se couchait sur la rive entre les hautes herbes.

Son cœur se serrait. — Sans savoir, il effeuillait la couronne ; les pauvres fleurs détachées tombaient une à une dans le courant qui les emportait avec lenteur.

Et quand la dernière tombait, pour disparaître à son tour derrière le grand rocher de Marlet, l’œil de René, qui l’avait suivie, se mouillait d’une larme…

Puis, tout à coup, sa joue pâlie devenait rose, il se levait, prêtait l’oreille et s’élançait dans le taillis.

Que de joie ! que d’espoir sur son jeune visage, tout à coup épanoui !

C’est que le vent avait apporté à son oreille un son lointain, — une note de la chanson de Bleuette…

Note perdue, que lui seul eût pu saisir dans l’espace, et qui suffisait à inonder son cœur d’un flux de délices…

Il courait. La voix le guidait le long des coulées, et il s’arrêtait haletant, lorsqu’il n’y avait plus qu’un buisson à le séparer de la fille de Jean Tual.

Il la regardait. Ses grands yeux bleus reflétaient son cœur tout entier.