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reçoivent des Français à moustaches, et ne ferment point leur porte aux lionceaux indigènes qui poussent la prétention fashionable jusqu’à laisser croître des ongles énormes au bout de leurs doigts rouges.

Les bonnes gens qui ont des petites queues sur la nuque appellent les dandys à longs cheveux, des jeunes France. — À ce terme de souverain mépris, les dandys répondent in petto par le nom de perruque ; — à l’aide de ceci, ils vivent en paix.

Quant à la physionomie et à la tournure, nous savons que monsieur le chevalier de Briant ne pouvait être déplacé nulle part. Il avait tenu son rang comme il faut dans le riche salon de Presmes. Ici, entre ces murailles nues et vis-à-vis de ses hôtes rustiques, il avait l’air d’un visiteur bienveillant qui sait s’accommoder du sans-façon de l’indigence.

Un regard indiscret, pénétrant dans la salle souterraine de Marlet n’eut donc point pu deviner au premier abord quel complot s’agitait entre les convives.

C’étaient des buveurs un peu trop intrépides, attardés à un dessert qui se prolongeait trop, voilà tout.

René de Carhoat, le plus jeune des fils du marquis, en se trouvant inopinément en face de ce spectacle, n’éprouva d’autre sentiment que la curiosité.

Il avança doucement sa tête blonde par l’ouverture de la porte, et regarda de tous ses yeux.

C’était la première fois que l’enfant pénétrait dans ces dépendances souterraines de la ferme de Marlet. Jusqu’alors, on lui en avait soigneusement caché l’existence.

Il était l’amour le plus cher de toute la famille. Par une sorte de pudeur qui survivait au cynisme de leur chute, le vieux Carhoat et ses fils avaient tâché de mettre un voile épais entre leurs débauches et les yeux purs de ce pauvre enfant qui grandissait, innocent de tout mal, dans cette demeure souillée.

Bien souvent l’orgie se faisait plus bruyante et plus folle dans le souterrain. Des femmes venues de Rennes étaient secrètement introduites, et alors c’étaient des chants sans fin, une ivresse frénétique et de brutales amours…

Mais il y avait plusieurs portes entre ces saturnales et le candide sommeil de l’enfant.

Il ne voyait rien ; — si près de la honte, son rêve s’embaumait d’adorations saintes et de virginale poésie.

Le vieux Carhoat avait été autrefois un bon chrétien, et le vice, transformant sa croyance en superstitions obscures, lui laissait le vague désir d’apaiser Dieu sans réformer sa vie.

Il se disait :

— Petit René sera prêtre : il fera de bonnes œuvres, et priera Dieu pour nous.

Et les trois frères, tournant cet espoir en raillerie répétaient souvent :

— Quoi que nous fassions, nous sommes sûrs de notre affaire… Nous aurons