À part l’étrangeté du lieu, l’assemblée à laquelle nous assistons dans les flancs du rocher de Marlet, n’avait rien en elle-même d’effrayant ou de suspect. Carhoat était un beau vieillard, à la figure noble et patriarcale ; ses cheveux blancs lui étaient une parure. Les trois jeunes gens, malgré leur ivresse avancée, n’avaient point pris l’aspect débraillé de l’orgie. Ils étaient forts, et le vin ne les avait point encore vaincus complètement.
Leur mine était un mélange de joyeuseté rustique et d’orgueilleuse sauvagerie.
On eût pu prendre le vieillard avec sa peau de bique et les trois frères avec leurs costumes démodés, mais portés fièrement, pour des gentilshommes campagnards d’un autre siècle, attablés autour de la petite débauche de famille.
En Bretagne, le temps ne marche point si vite qu’ailleurs ; il semble s’arrêter en chemin et regarde volontiers en arrière. — Ces tableaux qui reculent le présent et apparaissent tout-à-coup comme des souvenirs de cinquante ans, n’y sont point rares.
On s’y résigne de bonne grâce à voir les heures boiter. Les modes y passent comme ailleurs, et aussi vite peut-être, mais pas au même moment. — Sous Louis XV, on y portait la barbe pointue des beaux jours de Mazarin, et, du temps de l’empire, un œil de poudre y était de fort bon goût.
Maintenant, vous y trouverez encore de respectables et entêtés cadogans qui ont séché sur tige et se sont conservés parfaitement depuis les premiers jours de la constituante.
Les étudiants seuls, dans les grandes villes, suivent le mouvement de très-près. Ils ont des barbes aussi puissantes, et des cheveux aussi mal peignés que les plus fauves étudiants de Paris.
Tant il est vrai que les belles-lettres et les sciences civilisent les contrées les plus ténébreuses !…
Le costume du chevalier de Briant était moins simple et plus moderne que celui de ses hôtes, mais les gens qui portent encore des cadogans, de nos jours,