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sition qui me fait le maître du château, mais qui me défend de laisser percer le bout de l’oreille… M. de Presmes me croit venu en Bretagne avec une mission de Sa Majesté pour apaiser les troubles du pays de Rennes.

Carhoat et Prégent éclatèrent de rire ; Laurent et Philippe ne purent eux-mêmes retenir un mouvement d’hilarité.

— Ce diable de Kérizat ! murmura le vieux marquis ; — quel pacificateur !

— Vous sentez très-bien, messieurs, reprit le chevalier, que cette qualité d’agent du roi m’impose une certaine réserve… En bonne conscience, Sa Majesté ne peut pas m’avoir envoyé en Bretagne sans me donner de quoi faire le voyage.

— C’est juste, dit Laurent qui se reprenait sans le savoir à être de bonne humeur, — mais comment faire ?… Un expédient, monsieur le chevalier !

Kérizat réfléchit durant quelques instants.

— Si je pouvais aller à Rennes, reprit-il, un tour de lansquenet ferait l’affaire… mais ce serait dangereux… et, à l’occasion, je dois vous dire, messieurs, que, par respect pour le service du roi, mon patron actuel, j’ai mis de côté le nom de Kérizat, pour m’appeler tout simplement le chevalier de Briant…

— On s’en souviendra, dit le marquis.

Le chevalier réfléchit encore et poursuivit tout à coup :

— C’est misérable, d’attaquer un ami pour cent écus ! sans cela je vous indiquerais bien une aubaine…

— Indiquez ! indiquez, s’écrièrent à la fois les quatre Carhoat.

Et Philippe ajouta :

— On n’est pas forcé de ne prendre que cent écus, s’il y en a davantage.

Le chevalier parut hésiter durant quelques instants.

— Bah ! s’écria-t-il enfin, nous n’avons pas le choix !… Et puis, en définitive, c’est agir en bons citoyens… Notre équipée va peut-être épargner à la Bretagne les horreurs de la guerre civile… Voici ce dont il s’agit… monsieur le chevalier de Talhoët a dû quitter Paris deux jours après moi, porteur de certaine correspondance que les princes entretiennent encore avec les mécontents du pays… Sa valise, je vous le certifie, contient bon nombre de pièces d’or… Il n’a qu’un seul valet à cheval… et, si je ne me trompe, il devra traverser la forêt demain dans la soirée.

— Eh bien ! s’écria le vieux Carhoat, j’aimerais mieux mettre à contribution tout autre qu’un Breton de la vieille roche… mais, après tout, nous ne sommes plus, nous autres, ni pour le roi ni pour le parlement… Le chevalier de Talhoët payera les bons garçons du Champ-Dolent…

Il y avait bien longtemps que la porte conduisant à la ferme de Marlet et par où la vieille Noton Renard avait passé tant de fois cette nuit, restait immobile.

Noton était couchée, et son mari, Francin, sommeillait dans un coin sur son escabelle.

Au moment où le chevalier avait prononcé le nom de M. de Talhoët, la porte remua doucement comme si le vent l’eût poussée.