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— Soyez juste, Kérizat ! interrompit le vieillard qui semblait vouloir ménager son hôte et jouer le rôle de conciliateur. — Si mes filsaiment la comtesse…

Le chevalier éclata de rire.

— Vrai Dieu ! s’écria-t-il ; ces messieurs m’ont tout l’air de ne point soupirer trop langoureusement… J’ai entendu leur dispute et ce qui l’a précédée…

— Vous avez fait là, monsieur, dit Laurent, ce que vous ne deviez pas faire.

— Mon jeune maître, répliqua le chevalier, toujours courtois et souriant, — je sais que mon devoir était de frapper à votre porte et non point d’entrer ici à l’improviste comme un espion ou un voleur… Mais, outre que je vous connais bien assez pour n’avoir pas besoin de vous épier, je prétends qu’il faudrait être un larron bien insigne pour s’introduire dans votre cabane avec des idées de rapine… Je ne demande pas mieux, du reste que de vous fournir sur ce sujet, comme sur tous les autres, de loyales explications… Après le souper que m’a donné M. de Presmes, et durant lequel, soit dit sans vous offenser, j’ai eu le bonheur d’entretenir la comtesse Anne.

Laurent et Philippe dressèrent la tête en fronçant le sourcil.

— Ne vous fâchez pas ainsi par avance, mes jeunes maîtres ! interrompit le chevalier ; croyez-moi, je suis homme de bon conseil et de ressource ma venue fait votre partie plus belle, loin de la gâter… et avant qu’il soit un quart d’heure, nous allons nous entendre parfaitement.

Le vieux Carhoat emplit le verre de son hôte.

— Enfants, dit-il, comme s’il eût cru devoir s’excuser vis-à-vis de ses fils de ne point faire au chevalier un pire accueil, — voilà quinze ans que je connais Kérizat, et jamais je ne l’ai vu échouer en aucune entreprise je vous préviens que je ne me mettrai pas contre lui… et, quant à vous, le conseil que je vous donne est de le prendre plutôt pour soutien que pour adversaire.

— Qu’il s’explique, repartit Laurent de mauvaise grâce.

— Vous avez bien parlé, mon vieux camarade, dit le chevalier en tendant son verre. — Je vous disais, mes jeunes messieurs, ajouta-t-il en s’adressant aux trois frères, que monsieur mon ami de Presmes m’a accordé l’hospitalité et que j’ai pu entretenir ce soir sa charmante fille… Je suis pauvre, ma réputation à cet égard est presque aussi bien assise que la vôtre… Malgré la bonne amitié que me témoigne M. de Presmes, je me rends justice et je sais que demander la main de sa fille serait une inutile folie… En conséquence, j’avais pris le parti de l’enlever, et j’avoue franchement que je comptais sur vous, pensant que vous ne refuseriez point de me donner un coup d’épaule…

— Vous voyez que vous vous êtes trompé, interrompit Philippe.

— Du tout, mon jeune monsieur !… je vois seulement qu’il me faudra payer votre aide et rendre service pour service :… Mais laissez-moi poursuivre… En quittant Presmes, j’ai vu des choses qui me donnent à penser que nous ne sommes pas les seuls à prendre des voies expéditives pour en arriver à nos fins…