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Le croissant descendait lentement à l’horizon et marquait d’une lueur douteuse les dents inégales des collines lointaines.

On entendait les grands arbres du parc frissonner doucement au souffle affaibli de la brise.

Nul autre bruit ne s’élevait, si ce n’est, çà et là, des murmures voilés, inconnus, mystérieux que les gens de la forêt prennent pour le chant des lutins, et qui courent, et qui glissent le long des hauts talus, parmi les genêts solitaires ; si ce n’est encore le cri de la girouette attristée ou l’aboiement confus d’un chien somnambule, courant le chevreuil en songe sur la paille du chenil…

Malgré ce calme et ce silence, il y avait pourtant au château de Presmes plus d’un œil qui ne dormait point.

Trois fenêtres restaient éclairées sur la façade qui regardait les jardins.

Une de ces fenêtres, petite et mansardée, était située au second étage de l’une des tours latérales, affectée au logement des officiers de la capitainerie.

Elle donnait dans la chambre de maître Hervé Gastel, qui portait le titre tout honorifique de sous-lieutenant des chasses, et remplissait à la capitainerie de Liffré, l’office de veneur.

C’était un garçon bien fait de corps et beau de visage. D’ordinaire sa figure éveillée et hardie avait de la gaîté ; mais en ce moment son air était soucieux. Ses sourcils froncés se joignaient. Il se promenait à grands pas en long et en large dans sa chambre étroite.

C’est qu’on avait parlé de Bleuette, la fille de Jean Tual, à la fin du souper, et que les dernières paroles prononcées tintaient encore aux oreilles d’Hervé Gastel.

On avait dit qu’à Fontaine-aux-Perles, chez le vieux Jean Tual, il y avait un soldat du roi.

Or, Bleuette était si charmante et le jeune veneur l’aimait tant !

La seconde fenêtre éclairée avait des rideaux de mousseline brodée derrière ses carreaux. Elle se trouvait au premier étage de l’aile droite, où les deux filles de monsieur de Presmes avaient choisi leurs appartements.

Le regard indiscret qui aurait pu se glisser entre les plis rapprochés soigneusement de la mousseline aurait vu ce qui était vierge de tout regard masculin : la retraite de Lucienne de Presmes.

C’était un petit sanctuaire, élégant et mignon, où la coquetterie avait comme un parfum exquis de pudeur. — On y sentait en quelque sorte, la belle âme de l’enfant vêtue d’innocence et d’amour. — Martel s’y fut mis à genoux.

Lucienne était assise sur le pied de son lit, entouré de rideaux blancs, — elle avait les mains jointes et la tête inclinée.

L’agrafe de sa robe venait de tomber. Sa ceinture était lâchée ; ses petits pieds roses s’enfonçaient tout nus dans les poils soyeux du tapis.

La rêverie l’avait surprise au moment où elle allait éteindre sa lumière.