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sa détresse. Les rôles étaient bien changés. Par hasard ou par adresse, M. le chevalier de Briant avait trouvé tout d’un coup la baguette magique qui agissait sur l’esprit simple et borné du vieux veneur.

— Vous ne ferez pas cela, Kérizat ! s’écria ce dernier, en passant son bras sous celui du chevalier.

— Je vous ai dit, monsieur mon ami, que je m’appelle Briant tout court… par intérêt pour le service du roi. — Il appuya sur ces mots avec affectation. — Veuillez ne pas l’oublier.

— Pour le service du roi, répéta M. de Presmes, qui éprouva un sentiment de contrition à la pensée de ses doutes injurieux. — Ah ! monsieur le chevalier, ne me faites pas le tort de me quitter ainsi, et passez au moins une nuit sous le toit de votre vieux compagnon !…

— Je le voudrais, prononça lentement Kérizat, qui feignit de s’attendrir.

— Je vous en prie, continua le bonhomme, en l’entraînant loin de la table. — Ce n’est pas à vous que j’ai besoin de dire quel est mon dévoûment pour Sa Majesté… Au besoin, ma maison criblée de balles et les dangers que j’ai courus dans toutes les révolutions depuis cinquante ans, témoigneraient de ma fidélité inébranlable.

— C’est vrai, murmura Kérizat, comme en se parlant à lui-même, — c’est vrai… mais ceux qui vous entourent.

— Je réponds des officiers de ma capitainerie, interrompit le bonhomme — autant qu’on peut répondre de quelqu’un dans ces temps malheureux… Quand à mes filles, Lucienne adore Sa Majesté… la comtesse Anne… Mon Dieu ! Kérizat, vous savez ce que sont les femmes… inconséquentes, étourdies, faciles à se laisser entraîner par des billevesées !

— C’est que le fardeau de ma responsabilité est bien lourd, monsieur mon ami, dit Kérizat à voix basse.

Le vieux veneur eût donné son meilleur chien pour savoir quelle était la mission du chevalier.

Cette mission lui apparaissait imposante, considérable, et il se plaisait à penser que cet homme, dont il prenait le bras, avait entre les mains le destin du royaume.

Kérizat jeta de loin sur les convives qui, à l’exception de Lucienne, étaient restés à table, un regard profond et scrutateur.

Pour mettre le sceau à sa comédie, il eut bien le front de témoigner de la méfiance à l’endroit du petit baron de Penchou et du long Corentin Jaunin de la Baguenaudays.

— Qui sont ces hommes ? demanda-t-il.

— Je vous en réponds, s’empressa de répliquer le vieux veneur avec toute l’importance d’un homme d’État novice. — Je vous en réponds sur ma tête !

Kérizat garda un instant le silence, puis il prit la main du bonhomme, qu’il serra solennellement.