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Le vieux de Presmes éclata de rire, parce qu’il trouvait toujours charmant tout ce que disaient ses filles. — Les officiers applaudirent autant par sympathie que par instinct diplomatique.

Le baron de Penchou toussa d’une façon qui exprimait énergiquement son enthousiasme.

Corentin Jaunin de la Baguenaudays, pour ne pas imiter servilement le baron, éternua derrière sa serviette.

Contre toute attente, monsieur le chevalier de Briant accueillit très-froidement cette saillie. Il prit un air de réserve austère et mit de l’ostentation à détourner son regard de la comtesse.

— Monsieur le chevalier, dit Anne, vous qui venez de Paris, apprenez-moi donc un peu ce qui se passe… Le roi va-t-il bientôt donner congé aux commis de M. Maupeou et remettre les vrais conseillers en leur siège ?

— Madame, répondit le chevalier sèchement, — je crois savoir tout ce que l’on doit aux dames… mais il ne m’est point permis de répondre à de pareilles questions.

— Ne voyez-vous pas qu’elle raille ? dit M. de Presmes.

— Monsieur mon ami, répliqua Kérizat en mettant sur sa mine une double couche d’austérité glacée, — la plaisanterie qui s’attache à de semblables sujets change de nom, souffrez que je vous l’apprenne.

— Mais ce n’est pas une plaisanterie ! s’écria la pétulante jeune femme. — Nous avons aussi à Rennes notre parlement Maupeou… tous les gens de cœur le méprisent et le détestent… foin de ceux qui le soutiennent !

Les officiers de la capitainerie ne savaient pas trop s’ils devaient applaudir ou se taire. Leurs regards allaient du visage riant et hardi de la jolie comtesse à la figure du vieux capitaine des chasses, qui exprimait une certaine inquiétude.

La toux naguère si éloquente du baron de Penchou devenait problématique, et Corentin Jaunin de la Baguenaudays n’osa pas éternuer une seconde fois, de peur de se compromettre.

— Soutiens-moi, Lucienne, s’écria la comtesse Anne ; — les voilà tous contre moi !… N’y a-t-il en ce pays breton qu’une pauvre femme pour soutenir la Bretagne ?

Lucienne leva sur sa sœur ses grands yeux bleus qui disaient l’embarras de sa surprise et cherchaient à deviner le motif de cette interpellation.

— Tu ne me soutiendras pas, reprit la comtesse Anne, qui plaisantait encore, mais dont la voix s’animait au feu de la discussion, — tu es Française, toi, Lucienne… Depuis deux ans que je suis revenue, je t’ai vue refuser la main de vingt gentilshommes bretons, tous loyaux et nobles, et capables de faire le bonheur d’une femme… Mon père, ajouta-t-elle tout à coup, en s’adressant au vieux capitaine des chasses, — il faudra donner Lucienne à quelque soldat de Paris, portant un habit rouge ou bleu, une culotte blanche, et autant