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Nous avons fait remarquer au lecteur, dans l’un des précédents chapitres, ces blessures à peine cicatrisées que gardait la façade du manoir.

Les soupçons s’étaient portés, dans le temps, sur la famille de Carhoat qui, réduite à un état voisin de la misère, avait aux alentours une détestable renommée. Mais les Carhoat se tirèrent d’affaire. On pendit quelques brigands faméliques, traqués dans le souterrain de la fosse aux loups, qui avait servi si longtemps de retraite aux réfractaires de la forêt refusant l’impôt, et associés sous le nom de loups[1].

Du côté de Paris, le vent politique était à l’orage. — Le cœur du royaume n’envoyait rien de stable à ce membre lointain qui se consumait en sa fièvre… C’étaient des espoirs toujours, et toujours des craintes, jamais rien de réel.

Le roi Louis XV se faisait bien vieux…

On doit penser qu’en présence de ces événements, les causeurs politiques avaient de quoi s’étendre. On s’attendait à chaque instant à quelque changement notable. De deux choses l’une, ou la cour rappellerait ses serviteurs trop fougueux, les ducs d’Aiguillon et de Fitz-James, le maréchal comte de Goyon, l’intendant de Flesselles, etc., etc., ou la province se ferait justice elle-même, et alors la Bretagne, séparée, redeviendrait une puissance indépendante.

Il y avait alors beaucoup de partisans de cette dernière mesure, et tel était, du reste, le but de la récente révolte qui, entamée au pays de Rennes, avait manqué dans les autres diocèses.

De nos jours même, cette opinion n’est point morte complètement, et si quelque Wallace armoricain naissait aux bruyères de la Cornouaille, sa voix ferait bien surgir encore quelques champions qui sauraient mourir avec lui. Au dix-huitième siècle, c’était encore un parti nombreux et constitué qui avait, dans quelque manoir de la Basse-Bretagne, un prétendant tout prêt, le dernier des Avaugour.

Au souper de M. de Presmes, il y avait sans doute des partisans des jésuites et des partisans de La Chalotais, des fidèles du roi de France et des ennemis de l’impôt. Mais la présence du vieux capitaine des chasses, qui tenait sa charge de la cour et vivait en grande amitié avec les autorités venues de Paris, comprimait jusqu’à un certain point l’expression franche des opinions contraires.

Les seules paroles hardies furent prononcées par la comtesse Anne, qui était une Bretonne déterminée.

— Si tout le monde était comme moi, dit-elle, — on mettrait M. le lieutenant général dans une caisse avec l’intendant, le maréchal, le gouverneur de la ville et aussi monseigneur l’évêque, pour les expédier, sous cachet, à Paris, où Sa Majesté trouverait bien le moyen de les employer pour la plus grande utilité de son service.

  1. Dans un autre roman, la Forêt de Rennes, l’auteur a fait l’histoire de cette audacieuse et bizarre association.