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Les deux filles de M. de Presmes se partageaient en quelque sorte la succession d’hommages que mademoiselle de Carhoat avait laissée après elle.

Anne était veuve depuis un an de M. le comte de Landal, gentilhomme des frontières de l’Anjou. Son douaire était une fortune. — Lucienne n’avait que les biens paternels, mais son père était l’un des plus riches propriétaires de Bretagne.

On doit penser quêtant d’opulence unie à tant de beauté devait attirer autour des deux sœurs un véritable essaim de prétendants.

Il en était ainsi, mais la comtese Anne finissait à peine sa première année de deuil. Elle ne paraissait point extrêmement pressée de contracter une nouvelle union. — Quant à Lucienne, elle avait refusé jusque-là, sans choix et comme de parti pris, tous ceux qui s’étaient présentés pour obtenir sa main.

Un candidat-époux est ce qu’il y a, dit-on, de plus difficile à décourager au monde. Aussi, dès que Lucienne et sa sœur se rendaient à Rennes, elles étaient bientôt assiégées, circonvenues, pressées par un bataillon de jeunes gentilshommes, amoureux ou non, qui les importunaient avec une constance digne d’un meilleur sort.

Mais à Presmes, il en était autrement : les deux sœurs avaient mis des bornes à l’hospitalité prodigue de leur père. À part les officiers de la capitainerie, les vieux amis de M. de Presmes et quelques voisins qu’on ne pouvait exclure, le château avait peu de visiteurs.

Il faut dire que, malgré ces réserves, la table de M. de Presmes n’en gardait pas moins une vingtaine de convives.

Le baron Hugues de Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays étaient deux voisins qui usaient et abusaient de leurs privilèges.

Ils possédaient tous les deux une campagnarde aisance. Ils avaient leurs noms à l’armoriai. — Ils étaient laids, contents d’eux-mêmes, encroûtés, gauches, absurdes et les meilleures âmes de la terre.

Penchou s’assit auprès de la comtesse Anne, Corentin Jaunin se glissa aux côtés de Lucienne.

M. le chevalier de Briant avait rendu ses devoirs aux deux dames avec une grâce exquise qui mettait bien bas le lourd empressement des pauvres hobereaux.

Mais sa grâce n’avait point eu plus de succès que leur pesanteur.

M. de Presmes avait accueilli les compliments du chevalier avec une réserve froide ; et, comme s’il eût voulu éviter de l’avoir pour voisin de table, il s’était hâté d’appeler auprès de lui deux autres convives.

Mais ce n’était pas là, paraîtrait-il, le compte du chevalier qui coupa la route à son compétiteur le plus naturellement du monde et prit place, sans façon, entre Lucienne et son père.

— Monsieur mon ami, dit-il avec un cordial sourire, — nous allons causer ici plus à notre aise que tout à l’heure.