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dessinés avec finesse. Quelque chose de joli et de mutin plaisait parmi la vivacité de ses mouvements.

Sa taille était riche et cambrée hardiment. La toilette lui allait à ravir, c’était une de ces beautés mondaines qui semblent faites pour la parure et qu’on ne se représente point sans rêver or, diamants et velours.

Lucienne était plus grande que sa sœur ; elle lui ressemblait par la coupe du visage et le dessin des traits, mais sa beauté avait d’autres séductions.

C’était une grâce pensive et qu’inclinait le mystérieux fardeau de la rêverie. — Ses longs cheveux, vierges de poudre et dont la nuance obscure avait de chauds reflets, semblaient humides encore de pluie, et tombaient en boucles affaissées sur ses épaules chastement couvertes.

Elle avait de grands yeux bleus, tendres et doux, dont la prunelle baignée perlait de mélancoliques regrets.

Ses mouvements ondulaient balancés. Tout en elle était charme, bonté, douceur, — et quand le sourire descendait sur ses lèvres pures et qui semblaient ignorer la gaieté vulgaire, tout ce charmant visage de vierge, inopinément éclairé, prenait une auréole angélique.

Elle n’avait pas encore vingt ans. — Elle était vêtue d’une simple robe blanche, dont les plis, rattachés par une agrafe de perles, ne voilaient qu’à demi les contours délicats de sa gorge.

Parmi le monde brillant de la noblesse bretonne, assemblé dans la ville des états, une seule femme avait pu quelquefois l’emporter en beauté sur les deux filles de M. de Presmes. C’était Laure de Carhoat.

Laure était une enchanteresse dont la seule approche écrasait ses rivales. Les fêtes splendides de M. de Flesselles, l’intendant royal, les bals de la présidence et ceux de M. le duc d’Aiguillon, lieutenant général, n’avaient point connu d’autre reine durant plusieurs années. — Mais maintenant Laure de Carhoat s’appelait la Topaze ; les salons de M. le duc, ceux de l’intendant et ceux du président du parlement fermaient leurs portes devant elle.

Un seul seigneur avait osé la mêler, dans une fête, à la foule superbe des dames nobles de la province qui n’avaient point failli, — ou dont la chute, du moins, s’était discrètement étouffée sur le tapis épais de leur boudoir.

Cet homme était le lieutenant de roi, M. le marquis de Coët-Logon, dont la famille tenait cette charge de père en fils, par survivance. — Et depuis le jour où il avait ouvert son hôtel à la Topaze, qui était sa maîtresse, ses salons étaient restés déserts.

Laure était tombée. — Elle restait l’idole de la jeune noblesse, mais de ces idoles qu’on adore le matin et qui n’ont plus d’autel en ces solennités du monde où trônent l’élégante courtoisie et les chevaleresques respects.

À cette époque, les dames de Rennes n’avaient point une réputation de puritanisme absolument farouche ; mais Laure avait audacieusement franchi les limites au delà desquelles est le commun anathème. Ce n’était plus une rivale.