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— Ce sera fort bien fait, dit-il. — Mais je vous demande la permission d’aller me préparer pour le souper.

Kérizat passa lestement son bras sous le sien.

— Faites, faites, je vous en prie, monsieur mon ami, dit-il. Je vais vous accompagner jusqu’à votre chambre… Je ne sais pas si vous m’approuverez, ajouta-t-il en baissant la voix, — et je dois vous dire que je tiens par dessus tout à votre approbation… Vous savez que j’avais mené à Rennes une vie fort dissipée… Ces souvenirs me gênaient… Pour les éloigner tout d’un coup et pour rester à la hauteur de la position que j’occupe à la cour, j’ai laissé là ce nom de Kérizat qui me rappelait par trop nos folies.

— Monsieur le chevalier, interrompit le capitaine des chasses avec une froideur sévère, — ma jeunesse est déjà bien loin de moi… je ne me souviens plus du temps où j’aurais pu faire des folies… mais je me souviens très-bien de n’en avoir jamais fait avec vous.

— Ai-je dit nos folies ? s’écria Kérizat, — ma langue aura tourné, monsieur mon ami, et je vous fais mes excuses… pour en revenir, je ne porte plus que mon nom patronymique, et je m’appelle le chevalier de Briant.

Ils avaient monté le grand escalier du château et se trouvaient à la porte de l’appartement de M. de Presmes.

Celui-ci dégagea son bras et mit la main sur le loquet de la porte.

— Ceci vous regarde tout seul, monsieur de Kérizat, répondit-il, veuillez m’excuser si je vous laisse.

Il salua, ouvrit la porte et disparut.

Bien des gens n’eussent point trouvé cet accueil fort encourageant, mais le chevalier n’était pas homme à se déconcerter pour si peu.

Il descendit à l’office et se fit donner une chambre de sa propre autorité, comme s’il avait été reçu à bras ouverts.

Une fois installé dans son appartement, il se mit à l’œuvre aussitôt, brossa lui même son frac de voyage, sa veste et sa culotte, afin de suppléer aux habits de rechange qui lui faisaient complètement défaut.

Cela fut l’affaire d’un instant. M. le chevalier de Briant semblait parfaitement rompu à tous ces détails domestiques.

Quand il fut rajusté à peu près, il se regarda dans le vieux miroir à quatre morceaux qui ornait la cheminée de sa chambre.

Il se sourit à lui-même, — et réellement la glace répercutait l’image d’un cavalier de belle mine et de galante tournure.

Comme il brossait son feutre, la cloche du souper tinta.

— Il n’y a pas de milieu, murmura-t-il en donnant un dernier regard à la glace. — Les filles de ce vieil hidalgo ont de quoi couvrir d’or mon présent et mon passé… Si je m’endors je m’éveillerai quelque matin la corde au cou… Allons souper. Je vais manger d’abord et boire à ma convenance… Puis au dessert, je choisirai ma femme…