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À droite et à gauche de l’âtre, sous le manteau même, des billots de bois s’alignaient, faisant office d’escabelles. Les gens qui s’asseyaient sur ces billots pouvaient se chauffer commodément par le beau temps ; mais, quand venait la pluie, le large tuyau de la cheminée donnait passage à l’averse qui ne laissait plus dans l’âtre que des charbons éteints.

Il faisait encore un peu jour au dehors ; dans la ferme la nuit était venue. Bleuette fit asseoir Martel sur l’un des billots et alluma une chandelle de résine à laquelle une baguette de bois, fendue et fichée dans la maçonnerie de l’âtre, servait de chandelier.

Une large marmite pendait à la crémaillère. Bleuette en inspecta le contenu, y jeta une poignée de gros sel et vint se placer auprès de Martel.

Celui-ci la regardait en souriant. — Il y avait en Bleuette une grâce robuste et vive qui réjouissait l’œil. Sa mise avait une rustique coquetterie qui faisait d’elle la reine de la mode à quatre lieues à la ronde. Son gai sourire montrait des dents blanches adorables ; sa peau, légèrement brunie, se veloutait de rose, et quand elle mettait sa coiffe de dentelle à longues barbes flottantes, pour aller à la grand’messe de Thorigné, les jeunes gars de la forêt n’avaient pas assez d’yeux pour la contempler si belle…

On l’appelait Bleuette parce que la dévotion de sa mère avait voué son enfance à la vierge Marie.

Sa mère était morte depuis bien longtemps ; mais, par un pieux souvenir, la jeune fille avait gardé toujours la couleur consacrée. Sa fine et souple taille n’avait jamais d’autre parure que son corsage bleu.

Les bonnes gens de la forêt l’avaient nommée Bleuette peut-être à cause de cela, peut-être aussi parce que sa gaieté soudaine pétillait comme une étincelle ; — peut-être encore parce que sa gracieuse jeunesse avait le simple attrait de ces douces fleurs qui sourient dans la moisson, et que les enfants pieux tressent en belles guirlandes pour couronner les saints reposoirs…

Bleuette avait dix-huit ans.

Le gruyer, qui était rentré à la ferme derrière les deux jeunes gens, s’arrêta auprès du seuil et continua de nettoyer son fusil en les considérant d’un œil inquiet.

— À la bonne heure ! pensait-il, Lion est un bon chien parce que son père était un bon chien… Si celui-ci chasse de race, je l’aimerai mieux sur le grand chemin que dans ma maison !

Il secoua la tête comme si cette réflexion philosophique lui eût mis en l’esprit des idées plus chagrines. Mais il n’osa point manifester autrement sa mauvaise humeur parce que Bleuette couvrait Martel de sa protection, et que Bleuette était l’unique amour de Tual en ce monde.

— Mais comment avez-vous fait, Martel, disait la jeune fille, — pour gagner ce bel habit doré ?

— C’est la livrée du roi, Bleuette, répondit tristement le garde-française.