Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courait et se perdait à l’horizon, fermé par des collines, incultes et rases comme un feutre.

Sur la porte de la maison, il y avait, en ce moment, un vieux paysan dont le large chapeau portail une plaque d’argent. Il était occupé à nettoyer un lourd fusil de tournure antique et avait pour compagnie un beau chien de chasse qui le regardait curieusement.

À cent pas de là, au pied du même roc de Marlet, une jeune fille battait du linge au bord d’une fontaine carrée d’une étendue plus qu’ordinaire, située au milieu d’un épais buisson d’aunes et de saules, et dont l’eau transparente avait la limpidité du cristal.

Cette jeune fille était nu-tête ; ses cheveux noirs, relevés, s’attachaient derrière la nuque et arrondissaient leur luxueuse abondance pour former le chignon qui est la parure des paysannes du pays de Rennes ; son corsage, d’un bleu éclatant, tranchait sur la laine sombre de ses jupes, aux plis bouffants et larges. Ses petits pieds nus étaient dans des sabots dont la nuance brune faisait ressortir leur blancheur.

Elle battait son linge et elle chantait :

Ah ! dam ! elle était bien belle !
Notre maître en était fou :
C’était son plus cher bijou
Et de ses yeux la prunelle ;
Il en perdait, à songer,
Le boire avec le manger…

Martel prit un petit sentier qui descendait tortueusement la colline.

Le vieux paysan, qui était maître Jean Tuai, gruyer[1] juré de la capitainerie de Liffré, nettoyait son gros fusil et ne levait point les yeux ; mais le chien de chasse flairait le nouveau-venu.

Il fit quelques pas en montant la colline, et resta droit sur ses jarrets, le nez en l’air, le cou tendu, inquiet et menaçant.

Bleuette continuait de battre son linge et de chanter.

Elle disait :

Arriva de Normandie
À Saint-Aubin-du-Cormier
Un tout petit chevalier
Qui causait comme une pie.
Notre maître fut jaloux :
C’est le fait de vieux époux.

Un aboiement du chien l’interrompit et l’empêcha de commencer un troisième couplet.

  1. À peu près garde-chasse.