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abaissa vivement sa carabine et fit le geste de coucher en joue quelqu’un de ceux qui passaient.

C’était peut-être une bravade ou une plaisanterie de chasseur.

Martel ne le jugea point ainsi ; ses yeux s’ouvrirent tout grands ; il devint pâle, et ses bras s’étendirent en avant comme pour arrêter ce geste que l’on faisait à deux cents pas de lui.

Il voulut crier, mais sa voix s’arrêta dans sa gorge ; ses jambes tremblèrent ; il chancela et fut près de tomber à la renverse.

Rien qu’à voir cette scène muette, vous eussiez deviné certainement que l’inquiétude poignante peinte sur le visage du jeune garde-française n’avait point pour objet le groupe des chasseurs qui continuaient leur route au grand trot le long du cours de la Vanvre. — Encore moins s’adressait-elle aux valets de chiens entourés de la meute fatiguée.

Pour lui trouver un motif, il eût fallu glisser son regard sous les écharpes étendues, et voir dans le carrosse découvert les visages charmants de deux jeunes femmes qui riaient à l’orage et défiaient les torrents redoublés de l’averse.

Quel que fût son objet d’ailleurs, cette inquiétude était vaine. Le paysan aux longues jambes nues toucha le bras de son compagnon qui releva son arme en haussant les épaules.

L’instant d’après, il n’aurait plus été temps de se raviser. La cavalcade, en effet, arrivait à être hors de portée, et s’engagea bientôt dans la grande avenue qui conduisait au château de Presmes.

Les couleurs revinrent aux joues de Martel, qui mit la main sur son cœur et leva vers le ciel un regard de passionnée gratitude.

La cavalcade, éperonnée par l’averse, gravit l’avenue sans ralentir son allure : elle dépassa bientôt le sommet de la colline et disparut sur le versant opposé. Quand Martel ne vit plus les écharpes déployées voltiger au-dessus du carrosse, ses regards se reportèrent vers les deux hommes embusqués sur le rocher.

Ils étaient toujours à la même place.

Leurs gestes indiquaient une conversation animée. À chaque instant le vieillard vêtu d’une peau de chèvre étendait la main vers l’endroit où venait de disparaître la cavalcade.

Il y avait dans ces mouvements répétés de la colère et de la menace.

L’orage, cependant, faiblissait, soudain à s’évanouir comme à naître. Une dernière rafale balaya devant elle quelques gouttes de pluie égarées, et un rayon de soleil vint se jouer parmi les feuilles humides et brillantes.

L’orient était encore couvert de grands nuages noirs sur lesquels tranchaient les profils gris du rocher de Marlet.

Le couchant, au contraire, où le soleil oblique nageait dans des vapeurs laiteuses, s’illuminait magnifiquement.

Ce jour bizarre, où la lumière et l’ombre se disputaient avec énergie chaque