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Il avait roulé sur la selle son long manteau de voyage, qui s’accrochait aux branches et embarrassait sa marche.

Sous ce manteau, comme nous l’a déjà dit le chevalier de Briant, il y avait un uniforme de garde-française.

Le ciel s’assombrissait de plus en plus, et de brusques rafales frémissaient dans le feuillage.

De larges gouttes de pluie commençaient à tomber, perçant bruyamment la voûte de verdure.

L’air était chaud, lourd, étouffant ; tout annonçait un gros orage. Le garde-française ne se pressait point. Il surmontait lentement et avec fatigue les mille obstacles de sa route.

De temps en temps même, il s’arrêtait pensif, laissant son cheval affamé paître les basses branches du taillis.

En ces moments, son regard parcourait l’horizon borné qui se rétrécissait autour de lui. On eût dit que son œil reconnaissait à contre-cœur les objets qui l’entouraient. Sa mélancolie redoublait, loin de se calmer. Ce n’était certes point là un de ces voyageurs attendus pour qui le retour est si douce chose !…

Si lente que fût sa marche, il arriva cependant bientôt à mi-côte, et son œil, perçant à travers les arbres, put apercevoir de nouveau une partie du paysage qu’il avait découvert, en arrivant, du haut de la colline.

Les cheminées rouges et le donjon pointu du château de Presmes se montraient au delà du sommet opposé, qui cachait tout le reste de l’édifice.

Martel, c’était le nom du garde-française, sembla vouloir détourner son regard de ce spectacle auquel le ramenait une irrésistible fantaisie. — Un sourire jouait autour de sa lèvre, tandis que ses grands yeux bleus demeuraient tristes jusqu’à exprimer une douleur désespérée.

Il se découvrit pour passer si main sur son front, d’où ruisselait la sueur. Un nom prononcé bien bas glissa entre ses lèvres : un nom de femme…

— Si près d’elle ! murmura-t-il, — et plus loin que jamais de l’espoir !…

C’était en ce moment de calme profond qui précède l’orage. Le ciel retenait ses larges gouttes de pluie qu’il allait répandre à torrents. Le vent faisait trêve.

Parmi le silence absolu qui régnait dans la vallée. Martel entendit tomber du haut de la colline une voix fraîche, gaillarde et toute joyeuse qui chantait des touplets de la complainte de Fontaine aux Perles.

La chanteuse ne s’effrayait pas plus de l’orage que Martel lui-même, et sa jolie voix donnait une gaieté singulière aux paroles mélancoliques de sa chanson.

En même temps, du côté de l’est, par delà ce grand rocher qui bornait la vue au coude du vallon, arrivaient les sons brisés de plusieurs fanfares.

Les sonneurs semblaient s’approcher rapidement, et quelques notes distinctes de la Fontainebleau parvinrent, d’échos en échos, jusqu’aux oreilles de Martel.

Il reprit la bride de son cheval et se remit en route. — Le vent qui s’éleva porta ailleurs le son du cor, mais la chanson continuait au haut de la colline.