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à mes ennemis… Si, par hasard, vous vouliez renouveler connaissance avec votre vieux, compagnon de roule, le chevalier de Briant sera toujours enchanté de vous offrir sa main.

Et il joignit le geste à la parole.

Le jeune homme passa son bras par la fente de son manteau pour toucher la main qu’on lui présentait, et s’inclina avec courtoisie. Il tourna ensuite la tête de son cheval vers cette grande roche inclinée qui marquait le coude de la rivière, et qu’on appelait le rocher de Marlet.

Le chevalier le suivit un instant du regard.

— Joli garçon ! murmura-t-il ; — pas beaucoup d’argent, je crois !… un peu râpé… Pourquoi diable nous cache-t-il son uniforme de garde-française ?… Il y en a tant d’autres qui sont empressés de montrer la livrée du roi !

Le chevalier raccourcit la bride, flatta son cheval et s’engagea sur le pont étroit qu’il franchit sans encombre.

On le vit côtoyer un instant la Vanvre, couper au travers des jeunes taillis, et s’engager enfin sous les grands arbres de l’avenue.

C’était vraiment un cavalier de fort belle mine. — On l’aperçut longtemps cahoté par le pas pénible de son cheval qui gravissait la rampe ardue. Il se tenait droit et bien campe, le feutre sur l’oreille et le poing sur la hanche.

Au bout de la montée, sa silhouette se détacha un instant sur le ciel, pour disparaître ensuite peu à peu, à mesure qu’il redescendait le versant de la colline.

Le jeune homme s’était arrêté, au bout de quelques pas. Il contemplait son camarade de route qui se dirigeait vers le château de Presmes.

Il y avait maintenant parmi sa tristesse une expression de naïve envie.

Quand M. de Briant eut disparu derrière le sommet de la rampe, notre jeune homme poussa un gros soupir, secoua la tête et piqua son cheval.

Il suivit durant quelques minutes le cours de la Vanvre, et tourna au premier petit sentier qui perçait le taillis.

De loin, toute cette partie du bois paraissait unie, et les quartiers de roc eux-mêmes qui se montraient çà et là outre le feuillage paraissaient comme des marques blanches sur la surface plane d’un tapis vert.

Mais de près, l’aspect changeait grandement. — Les arbres qu’on avait pu prendre pour des buissons nains avaient déjà trois ou quatre fois la hauteur d’un homme. Leurs pousses jeunes et riches de sève jaillissaient eu gerbes de la souche commune, interceptaient la route et croisaient de tous côtés leurs branches sveltes ou noueuses. — Les rocs que l’éloignement avait arrondis apparaissaient maintenant crevassés, déchirés, et dressaient au-dessus des arbres leurs têtes blanchâtres.

À chaque pas on était arrêté par quelque fondrière. La coulée tournait autour des souches, évitait les rocs et descendait dans les trous.

Notre jeune homme avait mis pied à terre et tenait son cheval par la bride.